L’unité du Corps Mystique chez Louis Bouyer, par le Père Lesoing (extrait)

La démarche Å“cuménique de Bouyer est tout à la fois empirique et théologique. Son point de départ n’est pas une question théologique précise mais un fait observable, que l’expérience personnelle de l’oratorien, son éclectisme et son ouverture d’esprit saisissent avec une acuité hors-pair : la vie spirituelle des Églises et communautés chrétiennes non catholiques ainsi que les recherches théologiques menées en leur sein, portent d’authentiques fruits de sainteté et aspirent à un accomplissement et une reconnaissance au sein de la Catholica.

Ce constat oblige à penser le mode de réconciliation ou de manifestation avec l’Église une des principes positifs ainsi mis en évidence. C’est dans cette perspective et cette stimulante confrontation que l’auteur en vient, comme dans un second temps, à déployer une vision proprement théologique. La conjonction entre un Å“cuménisme de plénitude et une conception exigeante, parfois même intransigeante, du Corps mystique, assure à sa théologie Å“cuménique – ou devrait-on plutôt dire sa théologie tout court – sa vigueur et son caractère nervé. C’est cette étroite conjonction en effet qui lui permet d’arracher la question Å“cuménique des ornières dans laquelle elle s’est trop longtemps fourvoyée – les recherches   ecclésiologiques particulières et souvent parcellaires, les débats sur le rapport entre Église visible et Église invisible, autant de questions qu’il rejette   d’un revers de la main – pour replacer le mystère de l’Église et de ses blessures dans une perspective plus ample. Ce faisant, il montre comment l’unité chrétienne ne pourra se réaliser et se manifester qu’en prenant en considération des aspects aussi fondamentaux que sont le rapport entre Dieu et sa création, la théologie du dessein de Dieu et de sa Sagesse… Sont ainsi réintroduites dans le débat Å“cuménique toute une série de thématiques touchant la théologie fondamentale, la vie spirituelle et l’anthropologie. En témoigne ce qu’il écrivait dans un petit livre édité par les bénédictines de Jouques En quête de la Sagesse et dans lequel il a condensé quelques-unes de ses principales intuitions. Le théologien relate comment, de passage à Saint-Pétersbourg – Leningrad à ‘époque – il assiste à la profession   d’un jeune   moine, qu’il retrouve le lendemain en prière :

Je vois là comme une image de la seule réconciliation possible des Églises et de leur reprise en commun de l’évangélisation du monde : dans   l’acceptation, à l’école d’un monachisme     régénéré dans ses sources, de ce Tu me sequeris dont c’est le rôle de Pierre d’être l’entraîneur. Mais l’Eglise réconciliée ne pourra ainsi attirer le monde vers Lui, dans son élévation sur la   croix vers le ciel, que si la Sagesse de la Croix, à travers elle, se découvre de nouveau à ce monde comme la révélation du divin visage sur la propre face de l’humanité totale[i].

C’est en ce sens sans doute que la vision du P. Bouyer, pour reprendre les termes du cardinal Lustiger, peut aujourd’hui encore être riche de fécondité pour l’avenir du mouvement   Å“cuménique.

[i] L. BOUYER, En quête de la Sagesse. Du Parthénon à l’Apocalypse en passant par la nouvelle et troisième Rome, Jouques, Éd. du cloître, 1980, p. 54-56.