« Puiser, dans nos actes, le sens de Noël »
Le père Yves Trocheris est curé de la paroisse Saint-Eustache, au cœur du quartier des Halles, àParis. L’église, qui accueille d’habitude près de 1 000 personnes pour ses offices de Noël, se prépare cette année àdes célébrations plus minimales. L’occasion, selon le prêtre oratorien, de faire de ses actes, une célébration du mystère de Noël.
Propos recueillis par Héloïse de Neuville
La Croix : Ce Noël s’annonce, étant donné les circonstances sanitaires, bien singulier. Comment ce contexte peut-il nous aider àsaisir le sens profond de cette fête ?
Yves Trocheris : Les épreuves déstabilisantes, de dénuement, que nous vivons en ce moment peuvent nous aider ànous préparer au mystère de Dieu qui s’est fait homme. De fait cette année, nous tous fêterons Noël différemment, plus sobrement, surtout plus attentivement. D’habitude, dans notre paroisse de Saint-Eustache, nous organisons plusieurs offices qui rassemblent des centaines de personnes, avec des trompettes, un chœur, c’est une atmosphère très festive…Ces messes n’auront probablement pas lieu sous cette forme, tous comme les rassemblements familiaux qui seront plus minimaux. J’y vois l’occasion de puiser dans notre intériorité pour célébrer cette fête de Noël.
Qu’entendez-vous par « puiser dans notre intériorité ? »
Y. T. : Cette année, les chrétiens ne pourront pas s’appuyer sur de larges célébrations, ou grands rassemblements familiaux pour extérioriser leur célébration de Dieu. Comment, alors ? Je crois que tout ce que l’on accomplit de beau, de bon pour les autres est en soi une célébration de Noël. Plus que jamais, nous sommes appelés àfaire de nos actes, des signes de l’amour de Dieu pour l’humanité, qui est, en soi, la Bonne Nouvelle de Noël : Dieu a envoyé son fils pour manifester son amour concret pour l’humanité. Dans un même geste, je crois que la place des chrétiens est aux côtés de leurs frères souffrants dans cette période.
D’où tenez-vous cette conviction ?
Y. T. : Pendant le confinement, nous distribuions 300 repas aux personnes de la rue, au pied de l’église et cela a été comme une évidence, je me suis dit« le centre eucharistique de Saint-Eustache, il est là, en ce moment ! ». Nous avons peut-être été privés d’hostie, mais nous n’avons jamais été privés d’évangile. Au fond, il faut toujours revenir au cœur de ce que nous croyons pour vivre les temps d’épreuve. On l’a assez dit : la crise sanitaire a fait tomber nos sécurités, et a mis ànues les fragilités de nos existences. Or Noël, c’est la fragilité incarnée, l’arrivée d’un enfant, immédiatement persécuté, dont les parents fuient en Égypte pour échapper au danger. Notre Dieu a éprouvé cette fragilité, c’est une joie àla fois immense et simple de se savoir accompagné dans notre épopée humaine. Une joie immense et aussi un mystère…
Comment ce Noël particulier peut-il nous aider ànous rapprocher de ce mystère ?
Y. T. : Le mystère de Dieu se recherche dans l’écoute. Intérioriser le mystère de Noël, tenter d’incarner la Bonne Nouvelle par nos actes peut nous faire aussi devenir des mystiques. Paradoxalement, plus on s’approche, plus le mystère s’épaissit car l’amour infini de Dieu échappe ànotre raison. Pour autant, ce mystère de Dieu qui nous a donné son fils par amour, on peut le faire rayonner pour apaiser les souffrances que nous constatons tous. Concrètement, je pense àl’esprit de solidarité qui peut nous animer.
 Comment manifester cette solidarité, alors que la crise sanitaire isole ?
P. Y. T. : Par la fraternité. J’ai rencontré tant de personnes touchées par le Covid-19, qui ont vécu une expérience douloureuse, mais aussi certains frappés par la crise économique, un personnel soignant éreinté… Que peut-on faire pour eux ? Il faut sans cesse se le demander. Jésus, enfant fragile, met de fait la fragilité au centre. La crise sanitaire nous bouscule, et nous impose une ascèse qui casse la familiarité avec cette fête de Noël. Profitons-en pour s’interroger sur la manière dont on la vit vraiment. Chacun en responsabilité est reconduit àla valeur de sa foi.