En hommage à Rémi Lescot
Monté au Père dimanche de Pâques, le 27 mars 2016.
Rémi est décédé le jour de Pâques de cette année 2016, peu après midi et demi. Il a célébré la fête de la Résurrection différemment de nous. Ce que l’on sait moins, c’est que la dernière homélie qu’il a composée et qu’il n’a pas pu donner parce qu’il n’était déjàplus en état de le faire, c’est celle qu’il avait préparée pour le Vendredi saint. Vendredi saint, dimanche de Pâques, ces deux dates sont peut-être des clins d’œil célestes pour nous aider àrelire la vie du P. Rémi Lescot sous le signe du mystère pascal : mystère de mort et de résurrection, àl’image du grain de blé qui tombe en terre et meurt, afin de porter du fruit (Jean 12, 20-26).
Ami de Rémi depuis bientôt 55 ans, j’ai appris que le contraste entre la mort et la vie l’avait marqué dès son enfance. Il était né le 2 juillet 1941. Son père, résistant, avait été pris par les nazis et incarcéré dans la prison de Saint-Lô qui a été bombardée par les américains en 1944 ; il est mort dans le bombardement. Sa mère et sa sœur Sylvette (dont je salue la présence et àqui je renouvelle ma vive sympathie ainsi qu’àses enfants et petits-enfants) ont composé l’essentiel de sa famille pendant son enfance et son adolescence. J’ai bien connu Mme Lescot, qui tenait un modeste café-épicerie àTorigni-sur-Vire, tout près de Saint-Lô. C’était une femme digne, noble et courageuse. Très jeune, Rémi est devenu interne au collège de Saint-Lô, dont la moitié environ des prêtres qui l’animaient (une bonne quinzaine àl’époque) était oratoriens. C’est làque sa vocation presbytérale a mûri. Très naturellement il a choisi l’Oratoire.
Il serait long de nommer les différentes formes d’engagements qu’il a eus depuis. Au titre de la coopération qui pouvait remplacer le temps du service militaire, il est parti en Afrique, au Burkina Faso plus précisément. Il a été longtemps animateur d’internat au Collège Saint-Martin de Pontoise, puis vicaire, aumônier de Gitans, curé, depuis 2011 chapelain àSaint-Bonaventure, puis exorciste. Par goût, il s’intéressait àla peinture et aux arts plastiques de façon générale, et àce qu’ils révèlent de l’humain. Sa ligne philosophique était le personnalisme. La cohérence de tout cela, c’est deux choses qui se rejoignent : d’une part la volonté de mettre en dialogue la foi et la culture, et d’autre part celle de se faire proche de tous, notamment des gens modestes et des personnes ayant besoin d’être écoutées. Plusieurs fidèles qui fréquentent habituellement Saint-Bonaventure savent ce qu’ils lui doivent.
Il alimentait sa foi et sa vie spirituelle àla Bible. Plus que beaucoup d’autres prêtres, il aimait lire et enseigner l’Ancien Testament, dont il avait découvert les clefs auprès du P. Paul Auvray, prêtre de l’Oratoire, qui avait été son professeur au séminaire : « Rabbi Auvray », comme nous l’appelions par amitié. L’Ancien Testament était pour Rémi l’histoire de la naissance de l’humain et du divin. Avec sa barbe blanche et ses longs cheveux, il avait d’ailleurs pris, àpartir d’un certain âge, un physique de prophète, beaucoup le disaient. Mais la révélation chrétienne ne s’arrêtait pas avec l’Ecriture juive. Il était aussi très attaché àla personne de Jésus, ce qui l’a conduit àbeaucoup travailler les écrits de Pierre de Bérulle, fondateur de l’Oratoire de France. Il a été l’un des principaux collaborateurs de l’édition de ses œuvres complètes, et a travaillé personnellement àplusieurs des volumes publiés.
Quels mots utiliser pour essayer de saisir dans la fidélité quelque chose d’un tel itinéraire ? Et quels conseils Rémi nous lègue-t-il ?
« Incarnation », évidemment. Rémi prononçait d’ailleurs lui-même souvent ce mot là. Le Dieu qui s’est révélé au peuple élu depuis Abraham s’est fait homme en Jésus Christ. Il éprouve miséricorde et bienveillance vis-à-vis du monde créé au point de s’y immerger, et d’accepter de mourir de la main des humains qui sont ses créatures. C’est donc le monde tout entier qui est intéressant, pas seulement les questions spirituelles ou religieuses. Si nous nous réfugions dans les sacristies ou dans les bâtiments religieux, quelque chose d’important manque ànotre vie chrétienne.
« Contemplation », aussi. Rémi était un homme de prière, un homme d’oraison. Il appréciait la culture qui se déploie dans les villes, mais il avait besoin de campagne et de grand air pour y retrouver une certaine pureté d’atmosphère. Le Dieu qui se révèle àElie dans la brise légère qui souffle sur le mont Carmel permet au prophète de puiser dans son intimité avec son Seigneur sa lucidité et sa vigueur (1 Rois 19, 4-13a). Si nous ne mourons pas ànous-mêmes dans la prière en donnant àDieu seul des minutes de notre temps précieux, notre foi s’appauvrit dangereusement.
« Ecoute », également. Toutes les questions que pose la vie, la question du mal, celle de la souffrance innocente, Rémi les faisait siennes et proposait son accompagnement fraternel aux personnes qui les ressentaient douloureusement et qui désiraient se confier àlui. Il était capable de recevoir pendant deux heures de suite, même un jour férié, sans en avoir été prévenu àl’avance, une personne dans la peine. A Saint-Bonaventure, il a participé avec une grande disponibilité àl’animation du catéchuménat et àla rencontre des catéchumènes, porteurs de nombreuses interrogations sur la foi. Alors que déjàil était moins actif parce que ses forces déclinaient, il avait conservé l’animation de l’équipe des écoutants. Sa voix chaude nourrissait les conversations, mais il était rare qu’il prenne la parole sans avoir d’abord écouté attentivement. Si nous ne savons pas entendre ce que nos frères ont ànous dire, que pouvons-nous leur apporter ?
Je prendrai encore un quatrième mot, que les dernières semaines de sa vie ont beaucoup illustré : « Courage ». Il a travaillé jusqu’au bout dans le jardin de Dieu et des personnes humaines. La fatigue était là, mais il ne voulait ni laisser trop de travail àses frères prêtres ni abandonner les fidèles qui viennent àSaint-Bonaventure pour s’y reposer et s’y ressourcer. Jean-Jacques Rousseau a écrit : « Il n’y pas de bonheur sans courage ni de vertu sans combat. » Jean-Jacques n’est pas un maître spirituel, et ses ouvrages ne faisaient pas partie des livres de chevet de Rémi. Mais, qu’il ait connu ou non l’origine de cette maxime de sagesse, il en vivait quelque chose. « Combat », en grec, se dit agôn, et a donné le français « agonie ». Ce combat-là, c’est vraiment avec le Christ que Rémi l’a vécu. Nous pouvons avoir confiance qu’il continue d’être avec le Christ, notre frère aîné, làoù il est maintenant.
Ce dimanche 27 mars, alors que nous célébrions la résurrection du Christ, Rémi Lescot s’endormait dans la mort. Nous le savions malade, mais aucun d’entre nous ne pensait sa fin si proche. Beaucoup de témoignages nous reviennent depuis lundi dernier exprimant le regret ou le chagrin de ne pas avoir eu le temps de lui dire au revoir. Rémi s’en est allé avec la discrétion qui lui était coutumière. Ce n’est qu’après coup que nous mesurons, àla lumière des derniers jours, la singularité de l’homme.
J’admirais le courage de Rémi qui jamais ne se plaignait de sa maladie. Il la portait « debout » et ne voulait pas que cela l’empêche d’exercer son ministère. Jusqu’au bout il a essayé d’être là, présent aux uns et aux autres, au service de l’exorcisme du diocèse (qu’il a dû abandonner àcontre cœur en février) au service des pénitents de Saint-Bonaventure, aux membres de l’équipe « écoute », aux catéchumènes et leurs accompagnateurs qu’il chérissait, aux membres du groupe DUEC et DUEC parents, àl’équipe rectorale. Et je ne parle pas d’autres groupes débordant son ministère àSaint-Bonaventure et des personnes qu’il accompagnait spirituellement.
Envers chacun et chacune, il a su être présent, habillé de cette bienveillance qui se lisait dans son regard. Prêtre, il avait choisi l’Oratoire de France comme « famille spirituelle ». C’est dans cette petite congrégation qu’il a reçu une formation, et a développé une manière d’être prêtre alliant passion des Écritures pour aller àla rencontre de Jésus, et attention aux cultures pour mieux aimer ses frères en humanité. C’est sur l’insistance du père Luc Forestier, avec l’aval du supérieur général de l’époque James Cunningham, que Rémi avait accepté de s’éloigner davantage de sa Normandie natale, (Paris, c’était déjàloin de Rouen…) pour rejoindre avec le père Michel Quesnel, en septembre 2011, la communauté des prêtres de l’Oratoire animant le sanctuaire Saint-Bonaventure. Je crois pouvoir dire qu’il a été heureux de vivre ces dernières années ministérielles àLyon.
Épuisé, il tenait, avec cette volonté de fer, àêtre làpour célébrer la Cène du Seigneur. Cela a été sa dernière célébration. À contrecœur il est parti àl’hôpital ce vendredi de la Passion, et ce dimanche de Pâques, il nous était enlevé ! Son triduum pascal révèle àcontre-jour un homme en quête de lumière. Merci Rémi d’avoir partagé ta vie au service de tes frères !