Une certaine idée du prêtre aujourd’hui
Témoignage du Père Gilbert Caffin, donné àl’occasion du 400e anniversaire de l’Oratoire de France, en novembre 2011.
Comment suis-je devenu oratorien ?
Comme le père Jean Dujardin  : par nos collèges, lui celui de saint Lô et moi par Saint-Martin. C’était souvent le cas en notre temps. Je suis arrivé en 1942 en pleine guerre, un an près mon frère aîné. Mes parents habitant proche de Pontoise, avaient entendu parlé de cette fondation récente d’un genre très nouveau. Ils avaient été séduits par le lieu, le cadre exceptionnel, inattendu pour un collège en France. Mais surtout par le directeur, le père Duprey qui devint au long des années un familiers de notre maison comme plusieurs autres pères ce qui permit àmes parents de se sentir associés àla famille oratorienne.
Plus encore que par le collège lui-même, le scoutisme très vivant alors m’apporta beaucoup et me donna le goût de servir comme le voulait sa devise. Avec les aumôniers successifs, les pères Fridrich et Etienne, je découvrais une manière de servir et aussi leur manière de vivre leur propre vocation. Ils furent pour moi des éducateurs magnifiques et tout naturellement très tôt j’ai eu envie de les suivre.
L’année de terminale fut décisive. Le Père Duprey avait été élu supérieur général de l’Oratoire. Le Père Dabosville revenait au collège comme supérieur, tandis que le père Etienne était devenu directeur des Etudes et comme jeune chef de la troupe du collège, je découvrais avec le père Gilles Masurel, notre jeune aumônier un autre visage de l’Oratoire, fait de fantaisie, de bonne humeur qui rappelait ce Philippe Néri si séduisant pour la jeunesse.
Il était bon de prendre un peu l’air avant de faire le pas. Bien conseillé par le Père Etienne je m’inscrivais en propédeutique àla Sorbonne. Là, un incident me révéla une importance de cette famille religieuse que je ne soupçonnais pas. Les oratoriens n’étaient guère diserts sur leur histoire. Au fond malgré toutes ces années avec eux je n’en savais pas grand-chose. Un professeur de philosophie nous faisait un cours sur Descartes et un jour il demandait àquelques étudiants après le cours de quel lycée il venait. Disant que j’étais sorti d’un collège catholique il fit la grimace et quand je lui dis de Pontoise, il commenta de suite : « Mais ce sont les oratoriens alors mon jeune ami vous êtes chez vous ici, l’Oratoire vient de cette maison. Il me parla de Bérulle et Descartes et de la longue histoire des oratoriens et de l’Education Nationale, dont le Père Dabosville justement était encore le curé de la paroisse universitaire.
À la fin de cette année, je rejoignais pour le noviciat Montsoult, le lieu de formation de l’Oratoire depuis son retour en 1920. J’y trouvais heureusement un autre jeune de mon âge Denis Perrot qui lui aussi venait d’un collège dont le directeur le Père Désiré Bouley, oratorien, l’avait beaucoup impressionné. Il devenait d’ailleurs curé de saint- Eustache dans ces années là. Je découvrais avec notre maître des novices le Père Paris combien les années de guerre les avaient marqués, lui, comme le Père Etienne, prisonnier pendant quatre ans, il ne se sentait guère une « âme de curé » comme les anticléricaux de l’époque nous qualifiaient en croassant sur le passage des soutanes.
Ces hommes responsables de notre formation se voulaient d’abord des hommes au milieu des hommes comme ils l’avaient été pendant leur capitivité. Ceci me restera comme précieux message pour éviter la caste cléricale des mis àpart. L’inspiration de leur vie restait discrète et au fond assez secrète. Et pourtant ils nous transmettaient un message enraciné dans une forte tradition spirituelle. C’était ce mélange qui se vivait comme le disait bien un livre d’un de nos professeurs, le père Rotureau : « Amour de Dieu amour des hommes ».
D’ailleurs, je salue ici le dernier de nos maîtres et non des moindres qui nous enseigna la théologie avec tellement de passion et une ouverture étonnante. Il se trouve parmi nous, le Père Paul Beillevert qui y consacra toute sa vie dans la trace du Père Laberthonnière. L’incarnation de Dieu parmi les hommes avec son exigence de présence aux hommes de notre temps, afin d’en partager les espoirs et les quêtes de sens.
Nous en apprenions les risques vécus par nos pères au long de cette histoire en rupture des oratoriens de 1789 et de 1905, puis quand le Père Laberthonnière en fit durement les frais.
La parenthèse de deux années de service militaire qui nous voyaient partir ensemble au Sénégal avec Denis permit une première plongée. J’étais envoyé àSt louis tandis que Denis suivait un autre itinéraire qui le fit rejoindre nos collèges du Maroc. De mon coté, je me liais si fortement avec les camarades marsouins que, depuis bientôt 60 ans, nous formons encore un groupe de copains que seule la mort disperse. Homme au milieu des hommes fut bien pour moi le premier trait de ce que devrait être un prêtre aujourd’hui. Ce àquoi je vais essayer de répondre maintenant
Quel héritage ai-je reçu des pères de l’Oratoire que j’ai connu qui me permets de construire une certaine idée du prêtre aujourd’hui ?
Un homme au milieu des hommes
Il s’agit bien de la première exigence que je retiens. Mon travail au sein des ONG représentées au Conseil de l’Europe m’a montré combien il était important de ne pas se présenter comme un homme àpart, repérable comme prêtre avant d’être reconnu comme collègue, intéressé par les problèmes posés àtous et en recherche avec eux. Nul n’ignore en travaillant ensemble que je suis prêtre mais il me parait souhaitable de ne pas l’afficher créant une barrière a priori avec certains. Il ne s’agit pas de dissimiler ce que l’on est mais le dire àbon escient plutôt qu’en faire un préalable àtoute rencontre par un signe extérieur qui vous catalogue avant même d’établir le contact.
J’ai pu bien des fois bénéficier d’excellentes rencontres par cette manière d’être. L’influence de notre source d’inspiration n’en est que plus grande quand elle se découvre au long de la discussion. Telle fut mon expérience qui me parait dans la volonté que Jésus a eu en restant silencieux pendant si longtemps àNazareth au milieu de la vie des hommes.
Un homme de la Parole reçue
Et pourtant le prêtre est bien l’homme d’une parole qu’il a reçu mission de transmettre. La Parole dont il est porteur est la venue même de la Parole de Dieu fait homme. Être son témoin nous oblige àune grande modestie car cette Parole nous avons conscience, en la transmettant, de la déformer, d’en faire écran par le peu de compréhension que nous en avons. Elle est avant tout pour nous, pour nous transformer nous-mêmes. Grâce àl’Esprit que Jésus a donné aux hommes nous sommes, avec tous, en recherche pour la comprendre, en ouverture pour la recevoir : nous ne sommes pas les propriétaires de Jésus ni de sa Parole. L’urgence àpartager ce qui nous fait vivre et àlaisser l’Esprit agir par nous s’il le veut exige de nous une plus grande disponibilité tout au long d’une vie d’étude, d’un partage avec nos frères dans la foi, enraciné dans la tradition vivante de l’Eglise, conscient que nous portons une Parole de Vie dans une parole humaine, toujours approximative.
Un homme àl’écoute des hommes
Avant de parler, il faut longtemps écouter. Car c’est dans la vie singulière de chacun que se révèle la Parole faite chair. La transmission de la foi se fait de personne àpersonne. La communication des consciences, écrivait un théologien de Strasbourg. La rencontre est une approche délicate pour que s’établisse une vraie communication. Avant de conclure trop vite àce qu’on croit avoir compris de ce que dit l’autre, il me paraît important de continuer le jeu des questions pour se rapprocher des vraies questions que tout langage dissimule d’abord. – « Pourquoi dis-tu cela ? » – « Qu’est-ce qui t’amène àdire cela ».
Parfois le langage est impossible. Seule l’attention àl’autre permet la rencontre : un souvenir extrême : un long temps passé avec un moine tibétain àKatmandou sans parole mais avec quelle intensité de présence. Ecouter l’autre s’est l’accepter dans sa différence et dans sa commune humanité de fond avec soi. L’un vers l’autre.
Il faut laisser le temps pour permettre le dévoilement d’une vraie rencontre sachant que pour l’autre nous sommes nous-mêmes difficile àcomprendre dans notre singularité.
D’où je parle ? Porteur de cette parole qui m’anime, je ne peux la révéler qu’àtravers mon vécu de prêtre serviteur, ni juge, ni docteur. Le père de Bérulle proposait aux premiers oratoriens un vœu de servitude qu’il est toujours bon de retrouver.
Un homme collaborateur du travail de l’Esprit en l’homme
L’Esprit présent au cœur de l’homme est donc toujours le tiers présent en toute rencontre. Le prêtre me paraît être le témoin de cette écoute des hommes habités par l’Esprit au travail en chacun. Toute rencontre est une adoration de la présence. Chaque être humain est un tabernacle qui nécessite toujours une adoration de cette action divine en sa création et en toute créature. Le silence attentif àla dimension spirituelle de tout être devient réflexe si le prêtre s’éduque d’abord àcette présence en lui-même. L’oraison est l’exigence première de notre spiritualité oratorienne. Dans son étymologie même !
Un homme qui préside l’eucharistie rassemblant les disciples de Jésus-Christ
Le prêtre reçoit mission d’assembler les croyants àla table du Seigneur. Quand vous voudrez vous souvenir de moi et vivre de ma vie : « Faîtes ceci en mémoire de moi ». Il n’est pas le sorcier d’une parole magique. Mais le rassembleur du peuple de Dieu qui devient Corps du Christ selon sa Parole, en partageant le pain et le vin qu’il a àtout jamais lié au don de sa vie pour tous les hommes. Au cœur de sa vie de prêtre, le prêtre va vivre ce service, non comme un pouvoir, mais comme une grâce àrépandre en lien avec toute l’Eglise, jamais en isolé ou en groupe àpart. Il témoigne de l’envoi en mission qu’il a reçu pour faire Eglise avec ceux et celles qui le souhaitent afin que tous vivent de plus en plus la dimension sacerdotale de tout baptisé, dans la vie et la mort de Jésus seul et unique prêtre.
Gilbert Caffin (+ 2013) a été éducateur pendant 18 ans dans les établissements de l’Oratoire et fut ensuite formateurs d’enseignants pour les écoles catholiques d’Alsace. Il a fondé le Centre européen de formation ouverte et polyvalente (CEFOP) qu’il a dirigé pendant 10 ans pour des jeunes en échec scolaire et a été représentant permanent de l’Office international de l’enseignement catholique (OIEC) au Conseil de l’Europe àStrasbourge pendant 25 ans.