En ce temps-là, les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! » Le Seigneur répondit : « Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit àl’arbre que voici : ‘Déracine-toi et va te planter dans la mer’, et il vous aurait obéi.
Lequel d’entre vous, quand son serviteur aura labouré ou gardé les bêtes, lui dira àson retour des champs : ‘Viens vite prendre place àtable’ ?  Ne lui dira-t-il pas plutôt : Prépare-moi àdîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et boive. Ensuite tu mangeras et boiras àton tour’ ? Va-t-il être reconnaissant envers ce serviteur d’avoir exécuté ses ordres ? De même vous aussi, quand vous aurez exécuté tout ce qui vous a été ordonné, dites : Nous sommes de simples serviteurs : nous n’avons fait que notre devoir. »
Évangile de Luc, 17, 5-10
Méditation
« Si vous aviez de la foi, gros comme une graine de moutarde, vous auriez dit àl’arbre que voici : déracine-toi et va te planter dans la mer et il vous aurait obéi. » Cette phrase de l’évangile de Luc résonne au milieu du chaos dans lequel sont plongées nos sociétés : en qui ou quoi croyons-nous ? Au cœur de la crise des réfugiés, « nous y arriverons ! » s’était promis la chancelière allemande. Naïveté ou prophétisme ? En France, dans quelques villes contraintes d’accueillir des migrants dans des gymnases réquisitionnés, la conversion d’un premier sentiment de méfiance en prise de conscience que l’accueil de ces personnes n’est pas un problème insurmontable, montre que la méfiance et la peur ne sont pas la seule réponse possible. Au contraire, l’esprit de miséricorde qui rend le cœur sensible au malheur, est àl’œuvre : « L’association Habitat et humanisme a fait preuve d’un grand professionnalisme et il n’y a eu aucun incident. Nous avons répondu àleurs besoins, par exemple d’installer des points d’eau extérieurs, confie au journal Le Monde, le maire de Maurepas. Je n’avais jamais été confronté àune telle situation et la vivre au quotidien, avec des gens face àsoi, c’est très différent de ce que l’on voit dans les médias. Maintenant, je me demande ce qu’ils vont devenir et cela me fait réfléchir sur notre politique nationale d’accueil des migrants.»
Pour réfléchir sur la responsabilité humaine devant le drame des migrants àla lumière de la foi chrétienne, la phrase de Jésus « si vous aviez la foi, gros comme une graine de moutarde » peut être reprise àpartir de la distinction classique entre la foi au sens de l’acte de croire, le fait de se dire croyant, et la foi au sens de ce qui est cru, la foi chrétienne, juive ou musulmane. « Nous y arriverons » est un acte de foi en la capacité de l’Allemagne àaccueillir et accompagner les réfugiés. Ce qui, àpremière vue, semble impossible àde nombreux allemands, apparaît possible pour leur chef de gouvernement. Sans une vision des atouts et des faiblesses de l’Allemagne, l’attitude de la chancelière apparaît seulement volontariste. Avec cette vision, « Nous y arriverons » devient un acte de foi avec lequel elle relève le défi d’être sensible au malheur des réfugiés et de créer les conditions de leur offrir un avenir et, àtravers eux, au pays tout entier.
Mutatis mutandis, chacun peut s’approprier le « Nous y arriverons » de la chancelière en le rapportant àJésus qui durcit son regard au moment de monter àJérusalem et servir le projet de Dieu de rassembler l’humanité dans une vie en plénitude, où « amour et vérité se rencontrent, justice et paix s’embrassent » (Ps 84). Un projet mobilisateur pour lequel Jésus a donné sa vie et détruit « le mur de la haine » (Ephésiens 2, 14) qui séparait le peuple d’Israël des nations païennes. La compréhension de l’Alliance entre Dieu et son peuple en a été renouvelée. C’est pourquoi sa résurrection le désigne comme celui qui peut rassembler au-delàdes frontières ethniques, sociales ou géographiques àcondition de le laisser nous précéder sur les chemins difficiles de la fraternité, sans se l’approprier, ni l’accaparer.
Pour laisser la source vive de la fraternité selon le cœur de Dieu faire son chemin au sein de l’humanité tentée de se contenter de vieilles citernes, laissons l’Évangile irriguer le potentiel de miséricorde dont l’humanité est capable, elle qui peut  laisser libre cours àsa générosité comme se laisser aller àla violence, se rassembler comme se diviser. Imaginons une fraternité universelle pour nous accepter en frères et sœurs et agissons en frères et sœurs pour nourrir une représentation d’une fraternité universelle qui transcende celle du départ. Moins une capacité au sens d’un pouvoir dont nous disposerions, qu’au sens d’une aptitude àcontenir quelque chose : ici l’esprit fraternel révélé en tout homme dans la vie, la mort et la résurrection du Fils de Dieu, un esprit que nous portons en nous, telle la graine de moutarde, et qui peut germer si nous créons l’espace pour l’accueillir sans nous l’approprier. Que cet esprit nous meuve au service d’un projet qui transcende les représentations que nous nous en faisons, qu’il anime la capacité de tout homme àincarner la miséricorde de Dieu, véritable source de la fraternité donnée par Dieu. Viens Esprit de sainteté, « augmente en nous la foi ! »
François Picart, prêtre de l’Oratoire