Les héros
Hommage àl’Oratoire du Louvre par la Fondation Wallenberg
La Fondation Raoul Wallenberg a accordé le titre « Maison de Vie » àl’Église de l’Oratoire du Louvre en reconnaissance des actes courageux de membres de l’église, qui ont sauvé des victimes des persécutions nazies pendant la Seconde Guerre Mondiale. Le mardi 27 septembre 2016 une plaque commémorative a été dévoilée dans la rue de l’Oratoire. Dans les pages qui suivent, vous trouverez deux des textes qui ont été lus àcette occasion.
HOMMAGE A L’ORATOIRE DU LOUVRE DE LA FONDATION WALLENBERG
Aurions-nous été résistants ? Le serions-nous, si la situation l’imposait, comme l’ont été ceux que nous allons évoquer ? Pasteurs de l’Oratoire du Louvre, paroissiens connus ou anonymes, c’est par eux et dans ces lieux qu’ont été conçus et pratiqués des actes de résistance àl’oppression :
Comme l’ensemble des Français, les protestants parisiens étaient divisés ; mais depuis 1936 et les Conférences de l’Oratoire, le temple était devenu un lieu d’appel àla vigilance morale et républicaine et les pasteurs Bertrand et Vergara ne cessaient de prêcher pour une défense spirituelle de la démocratie. En 1940, leur détermination fut totale ; elle s’est exprimée par des textes, qui furent publiés, par des lettres officielles, et par des prédications qui leur ont permis, du haut de la chaire, face àune assistance qui comptait des Allemands, d’exprimer des appels àla résistance sur le thème : « opposer àla violence les armes de l’esprit » ou « mieux vaudrait une France morte que vendue ». Le 16 juin 1940, premier culte dans Paris occupé depuis l’avant-veille.
Le pasteur Bertrand donne pour consigne àl’organiste titulaire, Marie-Louise Girod, si des troupes allemandes défilaient rue de Rivoli avec musique militaire, de jouer le Psaume 68, dit le « psaume des batailles », qui avait été cher aux Camisards au XVIIO siècle : « Vous tirerez tous les jeux et remplirez le temple d’un tel vacarme que personne n’entende rien ». Le 10 juillet, jour où sont votés les pleins pouvoirs au maréchal, le pasteur Bertrand écrit : le mal n’est pas d’être vaincu, le mal est de perdre son âme » Le dimanche 14 juillet 1940, en chaire, le pasteur Bertrand parle longuement de la France et déclare : « Il y a des silences qui sont àla fois des lâchetés et des mensonges. Il ne saurait y avoir le mal n’est pas d’être vaincu, le mal est de perdre son âme » Le dimanche 14 juillet 1940, en chaire, le pasteur Bertrand parle longuement de la France et déclare : « Il y a des silences qui sont àla fois des lâchetés et des mensonges. Il ne saurait y avoir place pour de tels silences dans la chaire de Jésus Christ »
Le 16 mars 1941, le pasteur Vergara prêche sur le thème de la constance de Job, un véritable manifeste politique : Job, d’abord assommé par la douleur de l’épreuve, se réveille et argumente violemment contre ceux qui le plaignent en légitimant son malheur. Vergara fustige ceux qui appellent les chrétiens àtout accueillir les mains jointes, comme si la violation du droit devait être acceptée avec humilité et patience: inutile d’objecter le texte de Saint Paul sur la soumission aux pouvoirs établis:« car il n’ y a pas àse soumettre au législateur lorsqu’il est le ministre du démon pour notre perte » ; inutile de se référer àla fameuse phrase du Christ : « rendez àCésar ce qui est àCésar »,« car il y a des biens que nous n’avons pas àrendre àCésar, parce qu’ils ne lui ont jamais appartenu ».
Dans son rapport d’activité lu le 30 mars 1941, le pasteur Bertrand fixe les devoirs d’une église chrétienne. « L’Eglise doit tenir son mot d’ordre de Dieu seul ; si elle dévie de ce principe, elle est esclave des hommes… C’est ce que les prophètes d’Israël auraient appelé son « adultère » » ; certes, « Le christianisme n’a pas de patrie; mais le chrétien en a une…et des devoirs sacrés envers le peuple dans lequel Dieu l’a fait naître ..il n’y a pas de contradiction entre ces deux exigences de la vie chrétienne, car le devoir de l’Église envers l’âme nationale, c’est de la rendre capable de résister aux entraînements d’une démagogie haineuse ou égoïste… »
L’année suivante, lorsque tous les juifs âgés de 6 ans et plus sont astreint àporter une étoile jaune àpartir du 7 juin 1942, le pasteur Bertrand, viceprésident de la Fédération protestante de France, rédige une lettre que le président Boegner lit et remet au chef de l’État, seule protestation connue d’une Église contre le port de l’étoile jaune, atteinte àla dignité des personnes. Et le 7 juin qui est un dimanche, Bertrand prêche sur la première épitre de Pierre : « Si quelqu’un parle, que ce soit comme il convient àla parole de Dieu » : « Depuis ce matin, nos compatriotes israélites sont assujettis àune législation qui froisse dans leur personne et dans celle de leurs enfants les principes les plus élémentaires de la dignité humaine…Nos paroles sont pratiquement inopérantes ? Nous ne le savons que trop…L’Église de Jésus Christ ne saurait se laisser guider par des considérations subalternes ; il y a des choses qui doivent être dites, elle les dit. Il Y va de quelque chose de plus que son honneur, il y va de l’honneur de Dieu ». Puis la protestation est adressée àl’ensemble des pasteurs et par conséquent àl’ensemble des fidèles de France; elle devient collective, publique et nationale: « Tous les hommes sont, par droit de naissance, enfants de Dieu et les races sont toutes l’objet de la même sollicitude de Dieu. Le péché de l’homme se manifeste en orgueil de race, en haine de race, en persécutions et en exploitations d’autres races.
L’Église est appelée par Dieu às’exprimer sur ce sujet sans équivoque ». Puis c’est la rafle du Vel’ d’Hiv’, 16 et 17 juillet 1942 : le pasteur Bertrand prend sur lui d’écrire au délégué général du gouvernement de Vichy auprès des autorités d’occupation : « Une Église chrétienne manquerait àsa vocation si elle laissait semer des germes de haine sans élever la voix au nom de Celui Qui a donné sa vie pour abattre toute séparation entre les hommes » ; il déclare porter seul la pleine responsabilité de cette lettre devant l’Église comme devant les autorités. Désormais d’autres formes d’intervention ont pris corps ; elles exigent silence et clandestinité. Les pasteurs de l’Oratoire appellent les chrétiens àporter la souffrance des autres, sans dire « A chacun suffit sa peine » et les engagements pris par nombre d’anonymes attestent la puissance de l’exemple donné par la parole et les actes des pasteurs en temps de guerre.
Philippe Braustein
LES HEROS
Merci àchacun de vous de vous être rendu disponible pour ce temps de mémoire. Merci àla Ville de Paris et àses services d’avoir autorisé la pose de cette plaque. Merci àPhilippe Braustein pour cette évocation des pasteurs de l’Oratoire. Mais surtout, cher Monsieur Alexis Bulgari, merci pour vos paroles, merci pour votre présence. Et àtravers vous, l’Église protestante de l’Oratoire du Louvre remercie avec émotion la Fondation Raoul Wallenberg que vous représentez.
C’est un peu confus que nous ayons reçu cette distinction. En effet, Raoul Wallenberg est une immense figure, un faiseur de miracles pour sauver un nombre incalculable de personnes. Comment est-ce que l’église de l’Oratoire du Louvre pourrait être reconnue comme digne d’être associée àce nom de Wallenberg ? Mais peut-être est-ce une bonne idée néanmoins. Justement parce qu’un héros comme Wallenberg est trop hors de notre portée pour nous identifier àlui. Alors que ces personnes de l’Oratoire qui ont donné un coup de main étaient des personnes normales qui se sont senties concernées. Et que ces exemples làpeuvent servir de miroir pour nous mêmes et nous encourager àdes gestes qui sont ànotre portée, aujourd’hui. Je ne rappellerai même pas l’épisode du 16 février 43 où le pasteur Paul Vergara et la directrice de le Clairière Marcelle Guillemot organisèrent l’évasion de quelques dizaines d’enfants juifs dont les parents avaient déjàété capturés. Même cela nous semble difficile àimiter. Ils ont reçu pour cela le titre de « juste parmi les nations ».
Mais le tire de Maison de vie que décerne ici la fondation Raoul Wallenberg est donné collectivement aux anonymes de l’Église de l’Oratoire, àces familles, àces personnes individuelles dont nous sommes incapables de donner la liste car elles ont considéré comme normal de participer au sauvetage d’enfants juifs, comme sans aucun mérite, considérant que c’ét ait ne pas le faire qui aurait été anormal, inhumain. Je connais une des ces familles qui ont recueilli de ces enfants. Et je peux vous dire que c’est une famille tout àfait normale puisque c’est ma famille, et c’est en toute modestie que je le dis, car je ne n’y suis pour rien, évidemment, étant né 15 ans plus tard, et qu’il y a plein de familles comme cela àl’Oratoire. Et qu’elles ne s’en sont pas vanté, ni caché. Mes grands parents se sont donc vus confier par les pasteurs de l’Oratoire des enfants àplusieurs reprises. Pas seulement le 16 février 1943 mais pendant plusieurs mois, presque un an. Parfois un seul, parfois une fratrie entière, pour quelques jours àchaque fois le temps de leur trouver une façon de les faire sortir de Paris et de les mettre àl’abri quelque part. Des enfants de tous les âges, tantôt un peu grands, tantôt des nourrissons qui pleuraient tout le temps, ce qui rendait l’opération plus risquée. Car le concierge était un peu collabo et antisémite, et dans ces immeubles parisiens ont entend tout ce qui se passe d’un étage àl’autre, et qui connaît réellement ses voisins ? Il fallait donc garder les enfants àla maison, discrètement. Car chaque passage dans l’escalier, devant la loge ou dans la rue était un risque pour tous.
Mais cette normalité même nous renvoie bien évidemment ànotre vie quotidienne, pour avoir un regard modeste mais néanmoins prophétiques, et faire simplement ce que nous pouvons, ànotre mesure.
Mes grands parents ont fait une seule exception àcette règle de prudence pour aller au culte de Pâques ici, le 25 avril 1943. Ils sont sortis avec leurs propres enfants et la petite de 7 ans qui leur était confiée àce moment là. Elle a été fort impressionnée par le pasteur dont juste le haut du corps apparaissait dans la chaire de l’Oratoire, avec cette voix forte que devaient avoir l’orateur àcette époque où il n’y avait pas de sono, et la petite racontait par la suite « je l’ai vu, le bon Dieu, il n’a pas de pieds et il agite les mains ». Cette petite devenue grande est repassée dans les années 80 avec se propre fille pour rendre visite àma grande mère. Un autre de ces enfants est passé aussi, après guerre, pour remercier. Nous ne connaissons pas leurs noms. Sans doute un parmi tous ces enfants a essayé de faire donner la médaille des justes àmes grands parents, mais il fallait remplir des papiers pour la recevoir… et mon père a jeté ces papiers sans les remplir en disant qu’ils n’avaient pas fait cela pour recevoir un prix. Voilàl’histoire d’une famille de l’Oratoire tout ordinaire, ni plus pieuse ni plus dévouées, ni plus courageuse que les autres, et cela ne nous appelle pas àla fierté, puisque nous n’y sommes pour rien et que ces familles elles mêmes considéraient leur geste comme normal. Mais cette normalité même nous renvoie bien évidemment ànotre vie quotidienne, pour avoir un regard modeste mais néanmoins prophétiques, et faire simplement ce que nous pouvons, ànotre mesure.
Monsieur Alexis Bulgari, merci donc àla Fondation Raoul Wallenberg de distinguer ces familles anonymes de l’Oratoire du Louvre. Il y a bien des sources d’inspiration qui ont motivé ces héros que votre fondation nous permet de découvrir. Un peu d’humanité suffit. Un peu d’idéal peut aider. Ces familles de l’Oratoire étaient aussi aidées par leur foi, et par leur recherche d’interpréter la Bible comme nous concernant directement, nourrissant un sentiment de libre responsabilité. Par exemple ce Psaume de la Bible, vieux de 3000 ans qui appelle àlever son regard, et àse laisser inspirer par Dieu des actes de solidarité : Psaume 121, Psaume des montées. Je lève mes yeux vers les montagnes… D’où le secours me viendra t-il ? 2 Le secours me vient de l’Éternel, Qui fait les cieux et la terre. 3 Il ne permettra pas que ton pied chancelle Celui qui veille sur toi ne sommeille pas, 4 Voici, il ne sommeille ni ne dort, Celui qui veille sur Israël (celui qui veille sur ses enfants). 5 L’Éternel est celui qui veille sur toi, L’Éternel est ton ombre àta main droite. 6 Pendant le jour le soleil ne te frappera pas Ni la lune pendant la nuit. 7 L’Éternel te garde de tout mal, Il garde ton être, 8 L’Éternel garde ton départ et ton arrivée, Dès maintenant et pour toujours. Bien entendu, ce projet ne se réalisera pas sans la participation de chacun.
Pasteur Marc Pernot