Choisis la vie ! Une méditation du Père François Picart (06.10.2016)
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc.
Évangile de Jésus Christ selon saint Luc.
En ce temps-là, quelques sadducéens – ceux qui soutiennent qu’il n’y a pas de résurrection – s’approchèrent de Jésus et l’interrogèrent : « Maître, Moïse nous a prescrit : Si un homme a un frère qui meurt en laissant une épouse mais pas d’enfant, il doit épouser la veuve pour susciter une descendance àson frère. Or, il y avait sept frères : le premier se maria et mourut sans enfant ; de même le deuxième, puis le troisième épousèrent la veuve, et ainsi tous les sept : ils moururent sans laisser d’enfants. Finalement la femme mourut aussi. Eh bien, àla résurrection, cette femme-là, duquel d’entre eux sera-t-elle l’épouse, puisque les sept l’ont eue pour épouse ? »
Jésus leur répondit : « Les enfants de ce monde prennent femme et mari. Mais ceux qui ont été jugés dignes d’avoir part au monde àvenir et àla résurrection d’entre les morts ne prennent ni femme ni mari, car ils ne peuvent plus mourir : ils sont semblables aux anges, ils sont enfants de Dieu et enfants de la résurrection. Que les morts ressuscitent, Moïse lui-même le fait comprendre dans le récit du buisson ardent, quand il appelle le Seigneur le Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob. Il n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants. Tous, en effet, vivent pour lui. »
À des saduccéens récusant l’idée de la résurrection et cherchant àen montrer l’absurdité àpartir de la loi de Moïse, Jésus répond que « Dieu n’est pas le Dieu des morts mais des vivants ». Les doutes pesant sur la résurrection des morts n’ont pas complètement disparu aujourd’hui. Même si le raisonnement juridique des saduccéens nous échappe, les deux déplacements que Jésus produit peut encore nourrir notre réflexion sur la Vie qui nous est promise.
Dans la question des saducéens, la résurrection est envisagée comme une séquence qui débute après la mort selon une succession vie/mort/résurrection. La réponse de Jésus envisage une autre dynamique, celle du « monde àvenir ». Or, en sa personne, le « monde àvenir » est déjàune réalité qui n’est pas àopposer àce monde-ci, car d’un autre ordre. En effet, ce qui caractérise ce « monde àvenir » c’est que « tous vivent pour [Dieu] ». Avec Jésus, l’enjeu de la résurrection n’est pas seulement de penser une survivance après la mort. Il est plutôt, comme l’a compris Saint Paul dans la Lettre aux Romains, de montrer comment « vivre pour Dieu » est la réponse àun principe de vie qui transcende toute réalité de ce monde-ci, y compris l’épreuve de la mort par laquelle nous devons passer :
« Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? Il n’a pas épargné son propre Fils, mais il l’a livré pour nous tous : comment pourrait-il, avec lui, ne pas nous donner tout ? […] Le Christ Jésus est mort ; bien plus, il est ressuscité, il est àla droite de Dieu, il intercède pour nous : alors, qui pourra nous séparer de l’amour du Christ ? la détresse ? l’angoisse ? la persécution ? la faim ? le dénuement ? le danger ? le glaive ? […] Mais, en tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce àcelui qui nous a aimés. J’en ai la certitude : ni la mort ni la vie, ni les anges ni les Principautés célestes, ni le présent ni l’avenir, ni les Puissances, ni les hauteurs, ni les abîmes, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu qui est dans le Christ Jésus notre Seigneur. »
Cet amour de Dieu est àl’œuvre dans la vie de Jésus, jusque dans le passage du sentiment d’être abandonné par Dieu sur la croix, àl’abandon confiant en la promesse de vie reçue de son Père. La mort n’a pas eu le dernier mot. À sa lumière, nous comprenons que le même amour était àl’œuvre dans la vie d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, tout comme dans la vie de Zachée, de la Samaritaine, de Marie-Madeleine, de Lazare, de la Syro-phénicienne, etc. La vie de Dieu a fait irruption dans leur existence. Tous ont expérimenté que Dieu est le Dieu des vivants, qui a ouvert devant eux un chemin (Psaume 30). Depuis, les mystiques ont témoigné de la réalité de cette dynamique àl’œuvre jusque dans la nuit de foi.
Le deuxième déplacement que Jésus produit pour ouvrir les yeux des saduccéens sur le véritable enjeu de la résurrection des morts, concerne leur référence àla figure de Moïse. Mais il situe d’abord l’auteur de la loi comme le témoin de l’auto-manifestation de Dieu rapportée dans le récit du buisson ardent. Le Seigneur s’y présente comme le Dieu d’Abraham, Dieu d’Isaac, Dieu de Jacob (Exode 3, 6), c’est-à-dire le Dieu de la promesse adressée àAbraham, puis confirmée àIsaac et Jacob : promesse d’une descendance, autrement dit d’une vie possible malgré la stérilité de sa femme et d’une vie qui survit àsa mort. En effet, dans le raisonnement rabbinique, la mort étant une condition étrangère àDieu, le fait de se présenter comme Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob alors que ceux-ci sont morts, signifie qu’ils sont vivants.
Dans cette reprise, le texte de la loi devient second par rapport àl’expérience de la relation au Dieu vivant qui est première : une relation de libération et de salut qui s’expérimente dans la réponse au don reçu. En effet, le rapport àla loi structure cette relation, mais moins àpartir d’une liste d’obligations et d’interdits que comme proposition d’un « chemin » (Torah) de vie : « J’ai mis devant toi la vie et la mort, la bénédiction et la malédiction. Choisis la vie, afin que tu vives, toi et ta descendance, en aimant le Seigneur, ton Dieu, en l’écoutant et en t’attachant àlui : c’est lui qui est ta vie, la longueur de tes jours, pour que tu habites sur la terre que le Seigneur a juré de donner àtes pères, Abraham, Isaac et Jacob. » (Dt 30) Dans l’équivalent des menaces listées par Saint Paul qui, aujourd’hui, pourraient nous séparer du Christ, cherchons comment il nous précède sur le chemin de Vie.
François Picart, prêtre de l’Oratoire