Être chrétien : 25 sermons de John Henry Newman
Choisis et présentés par Keith Beaumont,
prêtre de l’Oratoire,
avec la collaboration de Pierre Gauthier
« La Foi et l’obéissance ». Ce sermon, simple mais profond, prêché le 21 février 1830 – le prédicateur avait alors 29 ans – s’adresse tout particulièrement àceux qui étaient marqués par l’Evangelicalism dont la doctrine, hérité de Luther, de la « justification par la foi » conduisait àséparer ce qu’ils appelaient la « foi » et les « Å“uvres » ou ce que Newman appelle la foi et l’« obéissance ». Tout en critiquant cette séparation, il proteste aussi contre une certaine interprétation de l’Écriture qu’il juge sélective et donc spécieuse, qui scrute celle-ci uniquement àla recherche d’une confirmation de certaines thèses théologiques.  (…)
Qu’un homme droit lise les Évangiles d’un cœur fervent et humble, comme s’il était en présence de Dieu, il n’éprouverait, je pense, absolument aucune hésitation concernant le sens de ces mots. Ils sont clairs comme le jour àpremière lecture, et les autres enseignements de notre Sauveur ne font que confirmer leur signification évidente. Il me semble que si un tel homme, après avoir lu ces mots et les autres passages semblables qui se rencontrent dans les Évangiles, s’entend dire qu’il n’a pas saisi àfond leur sens, et qu’en réalité l’effort pour entrer dans la vie en observant les commandements, ou l’idée d’observer les commandements pour entrer dans la vie, constituaient une manière de parler suspecte et dangereuse dont l’utilisation témoignait d’une ignorance de l’esprit véritable de l’enseignement du Christ, il déclarerait, de désespoir : « Alors vraiment l’Écriture n’est pas un livre pour le commun des hommes, mais pour ceux-làseulement qui possèdent une intelligence éclairée et subtile, de manière àdécouvrir dans les choses un sens différent de leur signification évidente. »
Ou encore, imaginons qu’un homme qui ne croit pas àla divinité de notre Seigneur rencontre des gens qui considèrent de cette manière que le fait d’observer les commandements pour entrer dans la vie est un signe d’aveuglement spirituel, pour ne pas dire d’orgueil et de réprobation : pensez-vous qu’ils auraient la moindre possibilité de le réduire au silence concernant sa propre hérésie, avec des preuves scripturaires de la vérité divine qu’il nie ? En effet, la doctrine de la divinité du Christ peut-elle être plus clairement énoncée que le précepte de garder les commandements si on veut entrer dans la vie ? N’est-ce pas làle moyen de faire croire aux gens que l’Écriture ne possède aucun sens précis, et que chacun est en droit de lui imposer tout bonnement sa propre interprétation, lorsqu’on constate que les enseignements évidents de notre Seigneur sont ainsi vidés de leur sens ?
La raison de cette interprétation irréelle de l’Écriture, qui se vérifie, de fait, chez nous àune grande échelle, est que saint Paul, dans certains passages de ses épîtres, enseigne que nous sommes agréés et sauvés par la foi. On en tire l’argument suivant : puisqu’il a écrit sous la direction de l’Esprit promis, il détient, lui, la vraie manière évangélique de parler, et le langage du Christ, qui est la Parole éternelle de Dieu, doit être détourné, au prix même d’une certaine violence, pour le rendre conforme àce sens spécial qu’on considère être l’interprétation authentique et unique de saint Paul. La manière dont les paroles de notre divin maître sont détournées, les ingénieuses subtilités utilisées pour les priver de leur signification évidente et solennelle – celle qui s’offre d’elle-même –, il est inutile d’examiner tout cela ici. Cependant, personne, on peut le supposer, ne peut nier qu’àtort ou àraison ces paroles subissent une déformation d’une manière tout àfait inattendue, àmoins qu’on ne les ôte tout simplement de notre regard et qu’on les oublie, comme si elles étaient supplantées par les épîtres de l’Apôtre. Sans doute ses épîtres sont-elles inspirées par l’Esprit Saint ; mais c’est le Christ qui a envoyé l’Esprit pour glorifier et éclairer ses propres paroles. Les deux témoins célestes ne peuvent tenir un discours différent ; la foi exige qu’ils soient écoutés tous les deux. Notre devoir est sans conteste de ne refuser ni l’un ni l’autre, mais de rechercher humblement s’il n’existe pas quelque doctrine essentielle qu’ils enseignent en commun. C’est ce que je vais àprésent, avec la bénédiction de Dieu, essayer de faire.
Comment, nous, pécheurs, pouvons-nous être agréés par Dieu tout-puissant ? Sans nul doute, le sacrifice du Christ sur la croix est la cause méritoire de notre justification, et son Église est l’instrument choisi pour nous la communiquer. Mais la question qui nous occupe ici concerne un autre sujet, la part que nous prenons dans l’appropriation de cette justification. Et j’affirme àce sujet que l’Écriture donne deux réponses, déclarant tantôt : « Croyez, et vous serez sauvés », et tantôt : « Gardez les commandements, et vous serez sauvés ». Examinons si ces deux manières ne peuvent pas être réconciliées l’une avec l’autre.
Qu’entend-on par la foi ? C’est éprouver sincèrement que nous sommes des créatures de Dieu. C’est une perception pratique du monde invisible. C’est comprendre que ce monde-ci ne suffit pas ànotre bonheur, c’est regarder au-delàde ce monde vers Dieu, réaliser sa présence, l’attendre, nous efforcer de connaître et de faire sa volonté, et chercher notre bien àpartir de Lui. Ce n’est pas un acte purement passager, un sentiment impétueux du cÅ“ur, une impression ou une vision qui s’empare de nous. Au contraire, c’est une habitude, un état d’esprit, durable et consistant. Avoir foi en Dieu, c’est nous soumettre àDieu, remettre humblement nos intérêts, ou désirer être admis àles remettre entre ses mains àlui, qui est le Donateur souverain de tout bien. (…)
Keith Beaumont, oratorien, a été longtemps professeur de lettres. Il enseigne aujourd’hui la spiritualité et prêche de nombreuses retraites. Il est l’un des meilleurs spécialistes du cardinal Henry Newman. Il a notamment publié Petite vie de John Henry Newman, Dieu intérieur : La théologie spirituelle de John Henry Newman, John Henry Newman une Pensee par Jour, Prier 15 jours avec le Cardinal Newman et Lire John Henry Newman au XXie siècle : Colloque du College des Bernardins, Faculté Notre-Dame, 14 octobre 2010