« Vous tous qui peinez sous le poids du fardeau… »
Des Oratoriens méditent la Bible. François Picart (09.07.2017).
Texte initialement paru dans le journal La Croix.
Des Oratoriens méditent la Bible. François Picart (09.07.2017).
Texte initialement paru dans le journal La Croix.
En ce temps-là, Jésus prit la parole et dit : « Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. Oui, Père, tu l’as voulu ainsi dans ta bienveillance. Tout m’a été remis par mon Père ; personne ne connaît le Fils, sinon le Père, et personne ne connaît le Père, sinon le Fils, et celui àqui le Fils veut le révéler. Venez àmoi, vous tous qui peinez sous le poids du fardeau, et moi, je vous procurerai le repos. Prenez sur vous mon joug, devenez mes disciples, car je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez le repos pour votre âme. Oui, mon joug est facile àporter, et mon fardeau, léger. »
Évangile (Mt 11, 25-30)
À la fin du discours de Jésus sur la mission, sa prière manifeste le lien de dépendance entre la manière dont il remplit sa mission et sa relation àson Père. La prière de Jésus le présente comme l’interprète du projet de Dieu. Devant l’hostilité des pharisiens, les scribes et les docteurs de la loi, àlaquelle Jésus se heurte, elle met en perspective, d’une part, l’intimité de la relation de Jésus avec son Père et, d’autre part, l’opposition entre la clairvoyance reconnue aux « tout-petits » et l’aveuglement des sages et des savants, parfois qualifiés « d’hypocrites » par St Matthieu. L’enjeu est la place du « joug », autrement dit de la loi de Dieu (Cf. Jr 2, 20 ; 5, 5 ; Os 10, 11 ; etc). En Dt 6, la loi avait été remise par Dieu au nom de la foi des Pères en la promesse de celui qui avait libéré son peuple réduit en esclavage et promis àune mort certaine. Mais une interprétation légaliste transforme le chemin (Torah) donné pour vivre (cf. Dt 30), en un ensemble de prescriptions impossibles qui, finalement, enferment et ferment tout accès àla joie du Royaume. Comme l’a compris Saint Paul, la loi seule, insécurise, culpabilise et met en avant le péché sans apporter de porte de sortie. Dans son Évangile rédigé en contexte judéo-chrétien, Matthieu interpelle ses lecteurs sur leur rapport àla loi, àla lumière de la parole et des actes de Jésus. C’est la raison pour laquelle, Jésus est présenté ici comme l’interprète de la loi de Dieu.
Or, son interprétation se caractérise par sa capacité àincarner la « bienveillance de Dieu », sans changer la loi. Dans l’évangile, son premier souci est de répondre aux appels de celles et ceux dont il croise la route : « Que puis-je faire pour toi ? ». Il les invite àpuiser en eux, dans la relation qu’ils établissent avec lui : « va en paix, ta foi t’a sauvé ». En posant la loi comme seconde après la fidélité de Dieu, il ouvre un chemin de conversion mû par la réponse àl’amour de Dieu. C’est la raison pour laquelle son joug est léger : « la douceur et l’humilité de cœur » de Dieu qu’il incarne, rendent possible la conversion en intégrant le temps nécessaire àl’homme pour progresser dans la qualité de sa réponse. Dans la Rome de la Réforme tridentine, Philippe Néri incarne ce chemin joyeux d’une conversion contagieuse des esprits et des cœurs, sans en faire un laboureur qui ploie en tirant sa charrue ! Le repos dont parle Jésus n’est pas incompatible avec la conversion et ses turbulences. En pointant le fruit, la promesse de Jésus inclut le chemin àparcourir pour accueillir la bienveillance de Dieu.
Par extension, cet évangile témoigne du Christ comme un chemin de vie pour celles et ceux qui ploient sous un fardeau, quel qu’il soit. Puisant dans la fidélité de son Père, la puissance de renouvellement qu’il incarne, le Christ rejoint chacun sur son itinéraire et lui demande « que puis-je faire pour toi ? ». Pâques ayant été son chemin, il est aussi celui de ceux qui se tournent vers lui et l’accueillent. Au sentiment d’abandon qu’il exprime sur la croix, répond l’abandon dans la confiance en la fidélité de Dieu dont il a reçu la mission et l’amour nécessaire et suffisant pour la remplir. Dieu confirme la vérité de ce chemin en le ressuscitant. Cette expérience adoucit le fardeau quel qu’il soit. Comme en témoignait une femme clouée sur un lit d’hôpital et envahie par la douleur, l’amour que lui manifestaient ses visiteurs, lui fournissait l’énergie nécessaire pour affronter la souffrance. Celle-ci demeure, mais l’amour reçu lui donnait la force de combattre.
Qui sera ce « visiteur » auprès de ceux qui peinent et qui ploient ? Qui fera vivre le Souvenir dangereux du Christ lorsque nous l’empêchons, parfois en son nom, d’être reconnu comme celui qui allège le joug et procure le repos ? Lorsque nous emprisonnons la manifestation de la bienveillance de Dieu envers ses privilégiés que sont « les tout-petits » ? Aujourd’hui, ce sont eux qui, àla lumière de l’Évangile, sont les interprètes de notre pertinence pastorale.
François Picart, prêtre de l’Oratoire