Le signe de l’eucharistie, àlui seul, contient en quelque sorte toute l’expérience chrétienne. C’est si vrai, qu’on pourrait dire qu’être chrétien c’est essentiellement être acteur et témoin de ce geste. On peut gager que, faute d’un ordre formel, les apôtres ne se seraient jamais permis de réitérer le geste du Seigneur. Mais l’ordre était donné : « Prenez et mangez… Prenez et buvez… Faites ceci en mémoire de moi… ». Et le geste, dès lors, s’imposait. Lànaît la tradition, celle que saint Paul décrit dans la première épître aux Corinthiens : « Pour moi, je vous ai transmis ce que j’ai moi-même reçu…: le Seigneur, la nuit où il était livré prit du pain… ».
Mais chacun comprend alors que la Tradition n’est pas une « chose », comme un objet. Elle est plutôt un mouvement, une dynamique qui consiste àrecevoir puis àtransmettre. Et comment ne pas remarquer que ce geste de réception-transmission se concentre dans et porte essentiellement sur un autre geste : prendre le pain, le bénir et le partager ? Car, une fois encore, le Seigneur n’a pas donné àses apôtres le pain seulement mais « le partage du pain », la « fraction du pain » (selon une des désignations les plus anciennes de l’Eucharistie).
C’est peu de dire que ce geste surprend et qu’il engage : lorsqu’il partage le pain, le Seigneur se partage lui-même et livre sa vie. Les mots qui accompagnent le geste le disent assez : « Ceci est mon corps… Ceci est mon sang… ». Qui plus est, lors même qu’il invite ceux et celles qui le suivent àentrer dans la logique profonde de son geste àlui, il les invite aussi àinscrire dans leurs propres existences cette même logique de don et d’amour qui a présidé et préside àsa propre offrande.
De dimanche en dimanche, de rencontre en rencontre, nous posons cet acte si fort et si dense qui est celui du Christ et de son Église inséparablement. Célébrer le dimanche c’est bien faire œuvre de tradition, œuvre de vie, de transmission et de partage. C’est se rendre attentif àce que le Seigneur donne lorsqu’il se donne lui-même dans la Parole, le pain partagé et la coupe de bénédiction, l’assemblée qui célèbre. C’est aussi se rendre disponibles àson appel lorsqu’il nous invite, nous ses disciples, àimprimer ànos vies la même logique de don et d’offrande qu’il a inscrite dans la sienne propre. C’est aussi et enfin cultiver l’hospitalité pour que l’assemblée qui célèbre ne soit jamais un entre-soi clos mais au contraire un signe que tous et toutes sont les bienvenus dans l’assemblée du Seigneur.
Gilles-Hervé Masson, dominicain, vicaire àSaint-EustacheÂÂ