Pierre de Bérulle, Œuvres complètes, t. 12. Correspondance [IV]. Lettres (616-848), texte établi et annoté par Blandine Delahaye Paris
Les Éditions du Cerf (« Oratoire de Jésus »), 2015ÂÂ
par Mariel Mazzocco,
Université de Genève.
In « Revue de l’Histoire des religions, 2016 / 3, tome 223. Editions Armand Colin.
Pages 455 – 457
Au début du xvii e siècle, en citant Pierre de Bérulle parmi les hommes « bien spirituels » de son temps, François de Sales soulignait : « Il est tout tel que je saurais désirer être moi-même, […] mais il y a ce mal, c’est qu’il est extrêmement occupé ». Ces quelques mots, qui résument àmerveille la personnalité de cet homme contemplatif tourné vers l’action qu’était Pierre de Bérulle, peuvent nous introduire dans l’atmosphère du quatrième volume de la Correspondance du fondateur de l’Oratoire de France qui regroupe 232 lettres (de la lettre 616 àla lettre 848) couvrant la période qui va de mi-juin 1625 àfin décembre 1627.
Ce sont des années cruciales qui, comme le témoignent ces lettres, voient Pierre de Bérulle engagé sur plusieurs fronts : organisateur de l’expansion des maisons de l’Oratoire qu’il avait fondé en 1611, il est également visiteur des carmélites qu’il avait introduites en France en 1604 ; partisan actif de la Contre-Réforme, homme d’État jouant un rôle de premier plan dans l’entourage de Marie de Médicis, il est le chef de file du parti dévot opposé àla politique du cardinal de Richelieu. En effet, en parcourant ces lettres qui nous font découvrir un Bérulle diplomate on oublie
presque que cet homme habile, mais prudent et discret, qui avait négocié une dispense papale pour le mariage d’Henriette de France avec le dauphin anglican Charles Ier et qui avait suivi avec attention les préparatifs du siège de La Rochelle ou encore les événements liés àla guerre en Valteline, était aussi – et surtout – l’auteur d’une oeuvre théologique et spirituelle monumentale parcourue d’un souffle mystique.
Ces lettres sont également l’occasion de saisir l’acception ambivalente de la notion d’« état » sous la plume de Bérulle, véritable leitmotiv de toute son oeuvre tant spirituelle que diplomatique. Employé pour décrire l’adhésion aux mystères de Jésus-Christ, dans les écrits spirituels du fondateur de l’Oratoire le mot « état » perd l’acception juridique que l’on retrouve dans les lettres qu’il rédige en tant que conseiller d’État.
Ce quatrième volume de la nouvelle édition de la Correspondance de Pierre de Bérulle ne manquera donc pas de susciter l’attention des historiens de l’Église et de la spiritualité de l’époque moderne, car en plus de viser àse substituer àl’édition, désormais introuvable, de Jean Dagens (Paris, Desclée de Brouwer/Louvain, Bureaux de la Revue, 1937-1939, 3 tomes), elle offre plusieurs lettres inédites remarquables en raison de leur intérêt historique. C’est le cas notamment d’une bonne partie de la correspondance passive contenue dans ce tome (voir par exemple les lettres 740-753, 756-775 parmi lesquelles figurent les noms du pape Urbain VIII et des cardinaux Francesco Barberini et Bernardino Spada) qui témoigne des qualités de diplomate et de négociateur de Pierre de Bérulle ainsi que de l’estime et de la considération dont il jouissait auprès des Grands de son temps.
Soulignons néanmoins que si d’une part elles nous font découvrir le talent de diplomate du cardinal Pierre de Bérulle, d’autre part ces lettres nous font aussi saisir toutes les limites et la fragilité de sa position politique anti-protestante. Comme l’a remarqué Robert Descimon dans sa préface àl’ouvrage de Stéphane-Marie Morgain, La théologie politique de Pierre de Bérulle (Paris, Publisud, 2001), l’action de Bérulle était guidée par « une obsession théologico-politique », àsavoir « la réduction de “l’hérésie†protestante ». Il nous semble par ailleurs intéressant d’évoquer qu’environ soixante ans plus tard Madame Guyon, àl’origine d’un mouvement politique et religieux utopique né au coeur de la Cour de Versailles, avait su rassembler catholiques et protestants d’horizons et de lieux différents sous l’égide d’un seul « Maître », àsavoir le « Pur Amour ». Peut-être Bérulle lui-même avait-il compris que la caritas était le seul moyen pour atteindre la paix et l’unité au sein des différences. Aumônier d’Henriette de France, désormais épouse du roi Charles Ier, c’est en 1625, durant son séjour en Angleterre, que Bérulle, malgré ses occupations diplomatiques, se sent poussé àrédiger « quelque chose de la Madeleine » (L 626, p. 35), àsavoir un texte d’une rare beauté, l’Élévation sur sainte Madeleine, où il était question de « cet amour » qui « fait vivre dans la mort et mourir dans la vie, et au lieu que la mort sépare et n’unit pas et la vie unit et ne sépare pas, cet amour unit et sépare tout ensemble » (OC vol. 8, Cerf, 1996, p. 470).
En conclusion, rappelons que le texte de ces nombreuses lettres a été établi et annoté par l’historienne Blandine Delahaye, qui avait déjàco-édité avec le Père Michel Dupuy (†2011) les trois premiers volumes de la Correspondance (t. 9 : 2006 ; t. 10 : 2010 ; t. 11 : 2011). Sur l’édition àproprement parler et l’apparat critique la Revue de l’histoire des religions se réserve de revenir dans une livraison ultérieure. Comme dans les tomes précédents ce quatrième volume est enrichi d’une table de correspondance entre l’édition « Dagens » [D] et cette « Nouvelle Édition » [NE]. Nous regrettons néanmoins l’absence d’un index des noms (c’est d’ailleurs un défaut qui caractérise aussi les trois premiers tomes) qui aurait sans doute permis au lecteur de mieux se repérer. Afin d’explorer en profondeur la richesse de ce corpus, il serait donc très souhaitable que le dernier volume (vol. 13) qui clôturera la quatrième série des OEuvres complètes soit accompagné d’un index rerum et nominum concernant l’ensemble des cinq tomes de la Correspondance du fondateur de l’Oratoire de France. Il faut également souhaiter que cette publication encourage de nouvelles études autant sur le rôle politique joué par Pierre de Bérulle dans l’histoire du catholicisme post-tridentin que sur le rapport de la spiritualité (et de la mystique) au corps social et politique.
Mariel Mazzocco, Université de Genève.