Un silence paisible enveloppait toute chose,
et la nuit de la Pâque était au milieu de son cours rapide ;
alors, du haut du ciel, venant de ton trône royal, Seigneur,
ta Parole toute-puissante fondit
en plein milieu de ce pays de détresse,
comme un guerrier impitoyable,
portant l’épée tranchante de ton décret inflexible.
Elle s’arrêta, et sema partout la mort ;
elle touchait au ciel et marchait aussi sur la terre.
La création entière, dans sa propre nature,
était remodelée au service de tes décrets,
pour que tes enfants soient gardés sains et saufs.
On vit la nuée recouvrir le camp de son ombre,
on vit la terre sèche émerger
làoù il n’y avait eu que de l’eau ;
de la mer Rouge surgit un chemin sans obstacles et,
des flots impétueux, une plaine verdoyante.
C’est làque le peuple entier, protégé par ta main,
traversa en contemplant des prodiges merveilleux.
Ils étaient comme des chevaux dans un pré,
ils bondissaient comme des agneaux
et chantaient ta louange,
Seigneur : tu les avais délivrés.
ÂÂ
Sagesse 18, 14-16 ; 19, 6-9
Méditation
L’auteur du Livre de la Sagesse contemplant l’œuvre créatrice de Dieu, fait ici une relecture du livre de l’Exode, de la sortie d’Égypte, avec en arrière-fond, comme une naissance : la mise au monde d’un peuple. Les mots que nous utilisons pour parler d’accouchement donnent àpenser. C’est un «travail», où co-existent la douceur et la violence. Ce «silence paisible enveloppant toute chose» ne peut-il pas être compris comme une matrice, avant que la Parole du Seigneur en tranche la membrane, permettant une sortie d’un lieu clos ? Le terme d’un accouchement avec l’expulsion du placenta n’est-il pas décrit comme une «délivrance» ? Pour la mise au monde d’un humain, il y a eu pour celle qui l’a enfanté, perte et d’eau et de sang ! Pour celle du peuple de Dieu, le flot de la mer rouge colore cette mise au monde, cette expulsion des appartenance tribales que la servitude d’Égypte confortait. Des hommes et des femmes liés par le sang de la tribu lorsqu’ils se reconnaissent membres d’un peuple, ne naissent-ils pas àcette réalité qui leur ouvre un espace relationnel plus grand et plus large, ouvrant leur conscience et leur mémoire ? Ne grandissent-ils pas dans le jeu de l’altérité où l’autre, différent, mais engagé dans la même écoute d’une Parole qui fait loi, est reconnu pour lui-même ? La grâce de vivre avec d’autres sans recourir àla violence pour exister, n’est-ce pas cela que vise notre naissance comme peuple ? Comment alors ne pas relier cette nuit de Pâques àcelle du Christ ? N’est-ce pas lui qui nous met douloureusement au monde comme enfant du même Père ? Oserons-nous croire en cette oeuvre pascale où nous expérimentons peu àpeu – par lui – la grâce d’exister dans ce jeu infini de la reconnaissance de l’autre ? Expérience qui se module dans notre corps par la respiration chantée qu’on appelle la louange ?
Antoine Adam, prêtre de l’Oratoire à Saint-Eustache, Paris