Des Oratoriens méditent la Bible. François Picart (18.03.2018)
« Le crucifié, une valeur ? », méditation publiée dans La Croix du 17 03 2018
« Le crucifié, une valeur ? », méditation publiée dans La Croix du 17 03 2018
En ce temps-là, il y avait quelques Grecs parmi ceux qui étaient montés àJérusalem pour adorer Dieu pendant la fête de la Pâque. Ils abordèrent Philippe, qui était de Bethsaïde en Galilée, et lui firent cette demande : « Nous voudrions voir Jésus. »
Philippe va le dire àAndré, et tous deux vont le dire àJésus. Alors Jésus leur déclare : « L’heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié. Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit. Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle. Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et làoù moi je suis, làaussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera.
Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ? “Père, sauve-moi de cette heure†? – Mais non ! C’est pour cela que je suis parvenu àcette heure-ci ! Père, glorifie ton nom ! »
Alors, du ciel vint une voix qui disait : « Je l’ai glorifié et je le glorifierai encore. » En l’entendant, la foule qui se tenait làdisait que c’était un coup de tonnerre.
D’autres disaient : « C’est un ange qui lui a parlé. »
Mais Jésus leur répondit : « Ce n’est pas pour moi qu’il y a eu cette voix, mais pour vous. Maintenant a lieu le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors ; et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai àmoi tous les hommes. » Il signifiait par làde quel genre de mort il allait mourir.
Évangile de Jésus Christ selon saint Jean
À l’heure où l’homme contemporain associe fréquemment la dimension religieuse de son existence àdes « valeurs », valeurs éthiques ou esthétiques, cette page d’évangile l’interpelle sur la valeur qu’il accorde àla croix de Jésus. Elle fut certes quelque peu malmenée par les excès des discours doloristes qui ont dominé le XIX° siècle. Après une réaction salutaire àces excès, que demeure-t-il de la Croix, cet instrument de torture et de supplice, présentée ici comme l’élévation de Jésus par laquelle Dieu glorifie son nom ? Cette page d’Évangile invite àune compréhension positive de la Croix.
Le propos de ce texte est paradoxal. Comme souvent, Jésus déplace le raisonnement de ses interlocuteurs. Dans l’évangile, il répond aux deux disciples qui se font les porte-parole de quelques grecs qui veulent « voir Jésus ». A la différence des juifs, ses coreligionnaires, les païens vivent une forme de distance avec Jésus. Ce n’est pas uniquement par un contact historique, que les païens peuvent avoir accès àJésus : c’est en le suivant dans sa passion et sa mort sur la croix.
En étant élevé sur le gibet de la croix, Jésus est élevé dans sa proximité avec son Père. Loin d’être détruite par la mort sur la croix, cette relation est portée àsa plénitude, selon une double élévation qui répondre au double abaissement du Christ-Jésus dans la Lettre aux Philippiens (2, 6-8) : Lui qui était de condition divine, il s’est anéanti, prenant la condition de serviteur, devenant semblable aux hommes. Reconnu homme àson aspect. Il s’est abaissé, devenant obéissant jusqu’àla mort et la mort de la croix.
Par cette double élévation de Jésus, Dieu glorifie son nom, en glorifiant Jésus. Cette glorification ne doit pas être comprise àla lumière des représentations de puissance produites par l’art baroque de la Réforme catholique. Ce terme signifie la pleine manifestation de Dieu àl’histoire de Jésus et, àtravers elle, àcelle des hommes. Parfois comprise comme le signe de l’abandon de Dieu, la passion de Jésus manifeste, au contraire, sa proximité, en faisant éclater le cadre de référence de la présence du divin àla vie humaine. Dieu n’abandonne pas Jésus dans sa passion et dans sa mort. Il réaffirme sa fidélité àson Fils qui lui laisse le soin, et àlui seul, de glorifier son nom, et confirme sa relation privilégiée avec lui en cette heure cruciale.
La parabole du grain de blé tombé en terre et les deux commentaires qui l’accompagnent, viennent éclairer les affirmations de Jésus, mais aussi la quête de ceux qui cherchent àle connaître. Le fruit est l’« attirance » que produit Jésus sur « tous les hommes ». L’heure de la croix détermine la condition de ses disciples en leur présentant une alternative. À travers les commentaires de la parabole, l’évangile dénonce une vie centrée sur soi qui fait de la réussite en ce monde et de la maîtrise de son destin, le seul horizon de référence. La vie de Jésus appelle àdiscerner les signes du Royaume parmi les « valeurs » du monde, et àrevêtir la même tenue de service jusque dans le dépassement de soi que pointe sa double élévation paradoxale. En le suivant sur ce chemin, tout homme peut rencontrer Jésus, autant les juifs que les païens, plus profondément, les juifs et les païens.
Cette alternative est la réponse aux grecs qui veulent « voir Jésus ». Pour voir Jésus ou rencontrer le Christ, le chemin est de s’engager àsa suite jusque dans les étapes où cette suivance ne fait plus sens, où cette suivance se révèle avoir un coût : l’ouverture d’une brèche pour accueillir ce qui ne vient pas de soi, ce qui n’est pas produit par soi. En ce sens, pour le disciple du Christ, la parabole du grain de blé invite aussi àorienter notre regard vers les grains de blé semé par ceux qui nous ont précédés, pour chercher comment Dieu a glorifié son nom avant nous et autour de nous. Cette parabole nous place en position seconde et évite d’associer la glorification du nom de Dieu en Jésus-Christ avec ce que nous produisons. Rencontrer le Christ suppose, comme lui, de laisser àDieu seul le soin de glorifier son nom.
François Picart, prêtre de l’Oratoire