Homélie pour les obsèques du père Jean Dujardin, le 8 mars 2018
Père Michel Quesnel
« Quand je me tiens sous l’abri du Très-Haut et repose àl’ombre du Puissant, je dis au Seigneur : ‘Mon refuge, mon rempart, mon Dieu dont je suis sûr.’ » Tel est le début de la traduction liturgique du Psaume 91 qui a été chanté entre les deux lectures. Je voudrais aussi citer cette phrase de saint Jean de Dieu, apôtre des malades, dont c’est aujourd’hui la fête : « Si nous considérions la miséricorde de Dieu, jamais nous ne cesserions de faire le bien, tant que nous en avons le pouvoir. » Il me semble que l’on peut trouver là, en plus des deux autres lectures choisies pour cette célébration, de quoi implorer et rendre grâce, alors que nous célébrons les obsèques du P. Jean Dujardin.
Reposer àl’ombre du Puissant, accueillir comme une grâce tout ce que nous recevons de Dieu, ce peut être le programme d’une vie ; et cela a pour conséquence, si notre existence est cohérente, que notre préoccupation première soit de faire le bien. Notre monde et notre pays, la France, ont besoin que du bien soit fait en leur sein.
On se plaint que les jeunes générations sont peu ou mal éduquées. Il est besoin d’éducateurs qui aident leurs élèves àtirer le meilleur d’eux-mêmes ; àrêver sans n’être que des rêveurs ; àinventer leur vie en la mettant au service des autres ; àtirer les leçons de l’histoire, surtout dans ses pages les plus sombres. Le Train de la mémoire en direction d’Auschwitz, que Jean a lancé avec les Sœurs de Notre-Dame de Sion en 1995, est une entreprise de vérité qui mériterait d’être imitée, éventuellement sous d’autres formes, par de nombreux éducateurs. Merci, Jean, d’avoir été cet éducateur-là.
La France est l’un des pays d’Europe où l’antisémitisme est le plus répandu. La fille aînée de l’Eglise ferait bien de s’approprier les paroles que le pape Pie XI adressait aux catholiques : « Nous sommes spirituellement des sémites. »
Ce serait aussi une façon de prendre en compte notre histoire. Il est plus que temps de faire cesser dans notre pays ce que Jules Isaac dénonçait dans un ouvrage édité en 1962, l’année même de l’ordination de Jean : L’enseignement du mépris. Il existe un devoir du faire-mémoire, qui ne peut exister sans le courage d’oser exprimer son repentir lorsqu’on a pris trop de distance vis-à-vis d’un peuple frère. La Déclaration de repentance des évêques de France qui date de 1997, àlaquelle Jean a beaucoup travaillé, en a été une expression privilégiée. Merci, Jean, d’avoir fait aussi cela.
Pour un chrétien, rien de cela n’est possible sans un attachement profond àla Parole incarnée, Jésus Christ, et au livre qui permet d’y avoir accès, la Bible.
Le début du Shema Israel, choisi comme première lecture, fait mention de paroles que l’on s’attache au poignet ou sur le front, et que l’on fixe àl’entrée de sa maison. Les Juifs pratiquants le font matériellement. Les chrétiens ne marquent pas le signe de la même façon, mais ils se condamneraient àvivre mal leur foi s’ils n’avaient pas un attachement profond au livre de la Parole biblique et une fréquentation régulière de ses pages.
Tel est l’exemple que nous donne également la page d’évangile choisie pour aujourd’hui. Deux disciples cheminent en échangeant sur leur déception. On sait le nom de l’un, Cléophas, pas celui de l’autre, ce qui permet au lecteur de s’introduire lui-même dans le récit. Et que se passe-t-il pour lui ? Un mystérieux voyageur l’accompagne, lui fait relire une Ecriture qu’il croyait peut-être connaître mais que l’on n’a finalement jamais fini de découvrir. C’est cette mémoire attisée en lui par le Seigneur Jésus qui lui permet, une fois arrivé au village d’Emmaüs, de reconnaître dans la fraction du pain tout autre chose que la signification première de ce simple geste.
Ce disciple est un modèle pour tout Oratorien. Dans les Constitutions de l’Oratoire de Jésus, que Jean a publiées lorsqu’il était supérieur général de la Congrégation en 1991, il est écrit àl’article 3 : « L’Oratoire accorde une attention particulière àl’Ecriture, dans la tradition vivante de l’Eglise. »
Se laisser éduquer par cette vivante Ecriture est un chemin, un cheminement, comme celui qui fut accompli par les deux disciples en déplacement de Jérusalem àEmmaüs. On peut l’accomplir partout, que l’on marche ou que l’on soit physiquement immobile, l’essentiel étant que l’on y consacre toute son énergie et tout con cœur.
L’un des lieux incontournables de la fréquentation de la Parole est celui que Jésus nous a indiqué dans le Sermon sur la montagne : « Retire-toi dans ta pièce la plus retirée, ferme la porte, et prie ton Père qui est présent dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra. »
Un autre lieu incontournable est le partage de cette Parole en Eglise, lors des célébrations eucharistiques ou àd’autres moments. Cette Parole, Premier et Deuxième Testament, c’est l’Eglise qui nous l’a transmise. Quelles que soient les limites de cette Eglise, nous lui devons cela. Il est important de le lui rendre.
Alors, nous ne resterons pas seulement àEmmaüs. Après avoir partagé la Parole et le Pain, les deux disciples sont retournés àJérusalem. Nous n’avons pas, nous, ày retourner. La Ville sainte, la Jérusalem céleste, descendra du ciel et nous sera offerte, comme l’écrit le livre de l’Apocalypse. Nous en serons alors citoyens, sans autre sanctuaire que le Seigneur Dieu, Souverain de l’univers, et l’Agneau immolé, définitivement vainqueur du Mal et de la Mort.
Michel Quesnel, prêtre de l’Oratoire àLyon