Des Oratoriens méditent la Bible. François Picart (22.04.2018)
Méditation publiée dans l’édition du 22 avril du journal La Croix sous le titre « L’aveugle-né, les mercenaires et le Bon Berger »
Méditation publiée dans l’édition du 22 avril du journal La Croix sous le titre « L’aveugle-né, les mercenaires et le Bon Berger »
En ce temps-là, Jésus déclara : « Moi, je suis le bon pasteur, le vrai berger, qui donne sa vie pour ses brebis. Le berger mercenaire n’est pas le pasteur, les brebis ne sont pas àlui : s’il voit venir le loup, il abandonne les brebis et s’enfuit ; le loup s’en empare et les disperse. Ce berger n’est qu’un mercenaire, et les brebis ne comptent pas vraiment pour lui.
Moi, je suis le bon pasteur ; je connais mes brebis, et mes brebis me connaissent, comme le Père me connaît, et que je connais le Père ; et je donne ma vie pour mes brebis. J’ai encore d’autres brebis, qui ne sont pas de cet enclos : celles-làaussi, il faut que je les conduise. Elles écouteront ma voix : il y aura un seul troupeau et un seul pasteur.
Voici pourquoi le Père m’aime : parce que je donne ma vie, pour la recevoir de nouveau. Nul ne peut me l’enlever : je la donne de moi-même. J’ai le pouvoir de la donner, j’ai aussi le pouvoir de la recevoir de nouveau : voilàle commandement que j’ai reçu de mon Père.
Évangile (Jn 10, 11-18)
L’identification de Jésus avec la figure du berger ou du pasteur était déjàdifficilement accessible aux auditeurs de l’Antiquité orientale. Elle l’est encore moins dans notre culture urbaine et nécessite un décodage, car, par sa construction, ce texte est écrit pour expliciter l’identité de Jésus, dans un contexte où la guérison de l’aveugle-né avait déclenché un conflit avec les autorités religieuses. Qui est légitime pour s’occuper des brebis ? Cette difficulté àse faire comprendre par ses auditeurs, est la raison d’être de cet extrait où Jésus explicite son recours aux images du monde pastoral, celui de l’élevage dirions-nous aujourd’hui, pour développer le thème de la légitimité du berger, du bon berger avec lequel l’évangéliste l’identifie.
Dans son explication, Jésus associe deux images, celle de « la porte » et celle du « berger », la porte étant la passage obligé qui permet de distinguer entre le bon et le mauvais berger : « Amen, amen, je vous le dis, celui qui n’entre pas par la porte dans l’enclos des brebis mais qui escalade par un autre côté, celui-làest un voleur et un brigand. Mais celui qui entre par la porte est le berger des brebis. À celui-là, le portier ouvre et les brebis écoutent sa voix » (Jn 10, 1-3). Avant de revêtir le rôle de « bon pasteur » et de « vrai berger » du troupeau, Jésus est identifié avec « la porte » de l’enclos. La porte est la figure de l’ouverture, du passage, de la protection. Elle rend possible l’écoute mutuelle et réciproque qui nourrit le dialogue. Ce faisant, Jésus est présenté non seulement comme celui qui rend possible, ou non, l’accès au troupeau qu’il protège des menaces, mais aussi comme celui grâce auquel le troupeau a accès au pâturage, autrement dit, à« la vie en plénitude » (cf. Jn 10, 10) : « Si quelqu’un entre en passant par moi, il sera sauvé ; il pourra entrer ; il pourra sortir et trouver un pâturage » (Jn 10, 9).
Ce faisant, l’évangéliste présente Jésus comme celui qui endosse une mission que le prophète Ezéchiel attribue àDieu : en remplacement des bergers qui agissent pour leur propre compte et non pour le compte des brebis, être le berger du peuple d’Israël en veillant sur elles, en les conduisant, les rassemblant, les nourrissant. Mais avec un déplacement de taille : àla différence d’Ez 34, ce n’est plus Dieu, mais Jésus qui est le berger. Or, dans ce déplacement, le berger n’est plus perçu avec les atours de la royauté du Messie attendu. Ici, la promesse de Dieu s’accomplit dans la vie de celui qui met sa vie en jeu pour sauver ses brebis des menaces incarnées, dans la tradition prophétique, par les dirigeants politiques et religieux qui mènent le peuple àla catastrophe et àla dispersion. Ici, les pharisiens du chapitre 9, prisonniers de la règle du Sabbat et heurtés par une guérison qui ne respecterait pas le repos prescrit ce jour-là.
Dans le contexte conflictuel où Jésus se trouve àla suite de cette guérison, la figure johannique du « bon pasteur » est opposée aux mercenaires qui privilégient leur intérêt et leur sécurité. Elle désigne celui qui prend des risques et donne sa vie pour ses brebis, selon une liberté et une disponibilité qui se nourrit, pour Jésus, d’une double relation de connaissance mutuelle : relation de proximité avec les brebis et relation d’amour et de réciprocité entre le Fils et le Père. Il y a donc un lien étroit entre la responsabilité exercée par le bon berger et l’offrande de soi dans l’exercice d’une responsabilité àla manière de Jésus, pour réduire en soi la part d’indisponibilité aux appels et aux attentes de celles et ceux qui cherchent comment accéder au pâturage qui les ferait vivre, mais dont ils sont privés, ou qui ont besoin de protection face aux mercenaires de toutes sortes.
En décembre 2014, dans un discours qui n’était pas passé inaperçu, le pape François avait pointé les 15 maladies de la Curie romaine. Ce discours avait aussi été reçu comme la liste des menaces ou dérives auxquelles tout responsable doit faire face, dans l’Église et dans la société. Autant dire que la tension entre les mercenaires et les bons pasteurs demeure d’actualité, qu’elle distingue peut-être entre les responsables, qu’elle habite surement tous ceux qui exercent des responsabilités. Puisse la lumière retrouvée par l’aveugle-né éclairer les raisons pour lesquelles ces responsables paient de leur personne pour remplir la mission reçue.
François Picart, prêtre de l’Oratoire