Alors que nous vivons liturgiquement ce temps nous invitant àintégrer dans notre vie le mystère de Pâques, àsavoir la manière dont « Dieu » a choisi de nous révéler sa présence en notre histoire tourmentée de violence, déconstruisant toutes les attentes et projections que nous avons du divin, la mort, le 5 avril dernier, d’un homme que je considérais comme un formidable « passeur » de la foi, m’a marqué. Il s’agit de Maurice Bellet qui n’a cessé de s’engager dans la vie àla lumière de ce mystère pascal.
Cet homme venait quelque fois àSaint-Eustache, écouter et prier avec les fidèles. Il avait affiné avec une intelligence vive cette faculté de perception qu’est l’écoute. Observateur critique des mutations sociales et religieuses, il a développé sa pensée dans une trentaine d’ouvrages dont certains sont pour moi des bijoux spirituels : « Le Dieu pervers », « La chose la plus étrange » (sur l’eucharistie), « L’épreuve ou le petit livre de l’infinie douceur », « La traversée de l’En-bas » ou « La chair délivrée » son avant-dernier livre. Ces livres scrutent le mystère de l’humain et de ce Dieu par qui l’humain advient. Ils trament une œuvre prophétique nous aidant, je crois, àvivre les mutations que nous traversons.
Prêtre, philosophe et théologien, formé àla psychanalyse, pressentant dans les années conciliaires un plus grand désir d’autonomie du sujet humain, Maurice Bellet s’est engagé dans une exploration du paysage de la foi structurant ou déstructurant les contemporains qu’il rencontre. Ne perdant jamais le lien àl’Evangile, parce qu’il est une Parole vivante exerçant précisément ce travail critique de notre rapport àl’homme comme au divin, il se méfiait de tout discours idéaliste, qu’il soit religieux ou pas, qui ne rejoignait pas l’homme dans la singularité de sa vie. Se méfiant des joutes sophistes, ne posant aucun geste concret d’humanisation, il écrivait « La critique ne va au bout d’elle-même que par la création. Sinon, elle continue àdépendre de ce qu’elle critique, elle forme avec lui un ensemble qui va s’enclore en lui-même ». Dans son dernier ouvrage, «Un chemin sans chemin», il invitait chaque lecteur àse risquer dans son propre itinéraire car pour lui l’Ecriture biblique « ne nous parle aujourd’hui que si nous risquons notre propre parole. Sinon, c’est de l’archéologie ». Appellant àse risquer dans une quête et un chemin de rencontre, dialogual, il nous invitait àrejoindre ce qu’il appelle « l’étrange communauté » de ceux qui ressentent que « quelque chose manque, qui n’est pas ceci ou cela, mais une autre façon d’être humain. Beaucoup sont en recherche de ce nouveau commencement et c’est par làque se tient l’étrange communauté ».
N’est-ce pas ce qu’attendent beaucoup de nos contemporains ? Et saurons-nous le vivre en nous risquant en Eglise ?
Antoine Adam, oratorien, vicaire àSaint-Eustache