Première lecture du jeudi 27 septembre 2018
Vanité des vanités, dit Qohélet ; vanité des vanités, tout est vanité.
Quel profit trouve l’homme àtoute la peine qu’il prend sous le soleil ? Un âge va, un âge vient, mais la terre tient toujours. Le soleil se lève, le soleil se couche, il se hâte vers son lieu et c’est làqu’il se lève. Le vent part au midi, tourne au nord, il tourne, tourne et va, et sur son parcours retourne le vent. Tous les fleuves coulent vers la mer et la mer n’est pas remplie. Vers l’endroit où coulent les fleuves, c’est par làqu’ils continueront de couler.
Toute parole est lassante !
Personne ne peut dire que l’œil n’est pas rassasié de voir, et l’oreille saturée par ce qu’elle a entendu.
Ce qui fut, cela sera,
ce qui s’est fait se refera,
et il n’y a rien de nouveau sous le soleil !
Qu’il y ait quelque chose dont on dise : « Tiens, voilàdu nouveau », cela fut dans les siècles qui nous ont précédés. Il n’y a pas de souvenir d’autrefois, et même pour ceux des temps futurs : il n’y aura d’eux aucun souvenir auprès de ceux qui les suivront.
 L’Ecclésiaste 1, 2-11
Méditation
L’exclamation du Sage « Toute parole est lassante ! » devrait interdire tout commentaire àce texte fulgurant, qui constitue une sorte d’énigme àl’intérieur de la panoplie biblique du Premier testament. Une extrême lucidité sur l’ambivalence de la condition humaine, qui touche parfois au cynisme, laisse une impression curieuse au lecteur de la Bible. La promesse que Dieu accorde àAbraham, l’alliance nouée avec le peuple d’Israël, la perspective de la vie messianique, qui sont des éléments profondément structurants de l’Ancien Testament, sont complètement absents ! En réalité, la présence àl’intérieur du canon biblique de ce joyau littéraire, dont le sommet est constitué par le poème sur la vieillesse (Qo 12, 1-8), exprime une tension féconde pour les chrétiens.
Le style de l’écriture, les mots employés, les thématiques choisies, montrent que l’auteur se situe peu de temps avant le début de l’ère chrétienne, et accepte une forme de dialogue avec la philosophie grecque. On sait, en effet, qu’après la victoire d’Alexandre et après sa mort, la civilisation grecque a durablement pris pied dans une grande partie du Proche-Orient, aussi bien dans l’actuelle Syrie que dans l’actuelle Égypte, enserrant la Terre sainte entre deux empires grecs. Cette rencontre entre civilisations se traduit en ruptures et en fécondité, dont la Bible porte aujourd’hui encore la trace… jusque dans le Nouveau Testament qui fut rédigé intégralement en grec, alors que Jésus ne le parlait probablement pas !
Le débat entre la vision grecque et l’écoute en monde hébreu trouve un écho dans la phrase du passage de ce matin : « Personne ne peut dire que l’œil n’est pas rassasié de voir, et l’oreille saturée par ce qu’elle a entendu. » De plus, la lassitude et la lucidité du sage qui, devant les contradictions qu’il éprouve dans sa vie, ne voit que l’éternellement recommencement du même, sont reçus àl’intérieur de la réflexion de Qohélet. En cela, ce document n’est pas seulement un avant-goût de la rencontre entre la foi et la philosophie, entre la révélation de Dieu et la raison humaine, mais une authentique opération d’inculturation àl’intérieur de la société nouvelle et universelle que représente la Grèce de l’époque.
Pourtant, le livre lui-même, plus encore quand il est lu àl’intérieur de la liturgie chrétienne, vient interroger profondément l’idée que rien ne change sous le soleil ! Certes, les jours s’écoulent, et le monde semble tourner sur lui-même, et parfois s’enfonce dans des querelles superficielles. Mais, pour les chrétiens, ce temps de l’histoire, avec ses ambivalences et même ses violences, est aussi le lieu que Dieu choisit pour révéler son dessein, jusqu’àprendre chair en Jésus de Nazareth.
La méditation de Qohélet, surtout en ce jour où nous fêtons saint Vincent de Paul, nous aide àaccueillir la sagesse humaine, dont la philosophie constitue l’une des formes, tout en osant inscrire un geste d’amour dans l’histoire, àla suite de Celui qui est venu dans le monde par grâce.
Luc Forestier, prêtre de l’Oratoire àParisÂÂ