L’édito de la semaine. Des bienfaits et des inconvénients de la polémique
par Françoise Zenacker
Dans la confusion de prise de parole qui caractérise notre époque, la critique des médias est un sujet récurrent et polémique. Nous avons parfois l’impression que l’objectif principal est d’obtenir l’audience la plus large possible. La focalisation de la presse sur des affaires politico- juridiques dramatise l’information et déplace le débat démocratique sur un terrain moral. Comment se situer face àla polémique qui envahit notre quotidien, dans quelle mesure le fait d’être chrétien peut-il nous donner quelques éléments de réponse ?
Le terme de polémique vient du grec polemikos et signifie « ce qui concerne la guerre ». Il désigne une discussion, une controverse qui traduit de façon violente ou passionnée des opinions contraires.
Ce serait pourtant une erreur de considérer la polémique uniquement dans l’utilisation médiatique actuelle. Heraclite, philosophe grec de la fin du VIe siècle avant Jésus Christ pense que la polémique est la mère de la démocratie et considère la différence conflictuelle comme un des principaux moteurs de l’identité. Ainsi, il faut des conflits d’interprétation pour que la démocratie soit vivante. Les régimes totalitaires ont très bien compris le danger de la pensée critique et imposent une pensée unique en enfermant ou en supprimant les intellectuels opposants. L’histoire est riche d’exemples de cette sorte. Si nous poussons plus loin la réflexion, Jésus, lorsqu’il s’oppose aux Pharisiens et aux grands Prêtres, permet l’émergence d’autre chose et la promesse d’un Royaume autre.
Aux Pharisiens et aux scribes qui accusaient ses disciples de ne pas respecter la tradition des Anciens, Jésus répond : « Esaïe a bien prophétisé àvotre sujet, hypocrites, car il est écrit : « Ce peuple m’honore des lèvres mais son coeur est loin de moi ; c’est en vain qu’ils me rendent un culte car les doctrines qu’ils enseignent ne sont que préceptes d’hommes ». Vous laissez de côté le commandement de Dieu et vous vous attachez àla tradition des hommes. (Mc 7 -6,9)
Ainsi, en acceptant la polémique, Jésus permet d’envisager qu’il existe une autre façon de penser et de vivre, en respectant d’autres valeurs, en croyant àl’émergence d’un autre Royaume àvenir. L’Église a également connu au IIe et IIIe siècle quelques polémistes (ou apologistes) , appelés ainsi parce qu’ils se sont employés àréfuter les accusations des auteurs juifs et païens contre le christianisme. Justin et saint Irenée, évêque de Lyon sont les plus connus.
Cependant la tendance actuelle des médias àmultiplier les polémiques de tous genres pour en faire les gros titres ne joue pas sur le même registre. La polémique devient un discours d’accusation, on attaque rapidement, on affirme, le scandale déchaîne l’intérêt et les passions, l’analyse et la réflexion viennent souvent ensuite, l’adversaire va pouvoir se défendre mais le phénomène d’annonce a déjàfonctionné. Démasquer les scandales privés crée un climat de défiance envers les personnages publics et un des résultats auxquels il nous faudrait réfléchir est la montée de l’apolitisme, le désintérêt d’un grand nombre de citoyens. Comment, en effet prendre au sérieux un monde qu’on ne peut respecter parce qu’il est présenté dans ses aspects les plus vils ? Or, ce que l’on peut attendre d’une discussion, c’est que chacun essaie de se placer d’un point de vue universel, ce qui suppose aussi l’aptitude àse mettre àla place d’autrui, â comprendre pourquoi il pense autrement que moi.
Il y a dans le registre raison/tort un parti-pris, une mise en cause, un jugement porté sur la personne. Or, les situations de la vie sont souvent compliquées et il ne s’agit pas de tailler àla hache. À une question complexe, il faut tenter de donner une réponse complexe, nuancée et réfléchie. Celui qui désire vivre en chrétien fait ses choix en tenant compte de deux éléments: une analyse aussi précise que possible de la situation et la lumière qu’apporte l’Évangile.
Si nous pouvons échanger et partager des points de vue différents, c’est d’abord en reconnaissant l’autre dans sa différence, en le respectant. L’ironie, le sarcasme, l’attaque de la vie privée sont des armes couramment utilisées et peu conformes àcette idée de respect qui devrait être la base de toute communication. Jésus créait la controverse mais il questionnait beaucoup, renvoyant chacun àsa propre conscience.
Alors, s’il est important de redonner àl’esprit de controverse la place qu’il mérite, face àtout ce qui nous est asséné au quotidien comme informations contradictoires et parfois injurieuses, efforçons-nous de ne pas tomber trop vite dans la réaction émotionnelle, prenons le temps d’essayer de comprendre, en lisant des articles de fond sur le sujet, en prenant la distance nécessaire, en différant notre jugement.
Françoise Zenacker, laïque en mission àSaint-Bonaventure (Lyon)