Carême : La longue marche
L’éditorial de St-Bonanventure
L’éditorial de St-Bonanventure
Nous avons intitulé àSaint-Bonaventure le programme du temps de carême àla Pentecôte : « chemins de miséricorde ». Chemins qui peuvent être pluriels, mais qui tous supposent une marche, un déplacement spirituel. Je le rappelais lors du mercredi des Cendres, ce temps spirituel s’inscrit dans l’année jubilaire de la miséricorde commencée depuis le 8 décembre dernier. Un temps qui peut passer par un combat, que nous pourrions appeler « la longue marche » sans forcer la ressemblance avec l’histoire chinoise ou àl’Anabase de Xénophon au IVe siècle avant notre ère…
Quand l’Église ouvre le temps du carême, elle peut chanter : « Seigneur avec toi nous irons au désert »… signifiant qu’aucun des baptisés ne s’aventure seul dans cette marche. Il y a le « Nous » de l’Église – Corps aux divers membres – et le Christ, la tête de ce Corps. Aussi éparses que soient les communautés chrétiennes dans le monde, c’est un seul peuple qui se met en marche pour se laisser transformer par l’Esprit qui anime le Christ afin de mieux vivre de sa présence au monde.
Un des maux qui affecte les vieilles civilisations occidentales, notamment en Europe, est une forme d’acédie, de langueur qui affadit le goût de la foi. Je constate, avec d’autres, cette perte de projet collectif, d’utopie amenant un désir de transformer notre société. Si nous considérons que tous les feux sont au rouge dans notre société et que rien n’émerge de positif, le risque est que nous nous repliions sur nous-même avec une pratique très solitaire de la foi, centrée sur notre petit lopin de bonheur. Nous risquons de perdre la dynamique de l’Évangile. La foi évangélique n’est pas un plaisir solitaire…
Un des points qui peut nous stimuler dans notre marche spirituelle est de cultiver le don de l’espérance, « la mémoire de l’avenir ». Comprenons en terme chrétien que cette mémoire vive émane du Christ pour qui « tout est accompli » lorsqu’il abandonne son souffle en mourant sur la croix. Cette « mémoire de l’avenir », nous la célébrons àchaque eucharistie avant de communier au corps du Christ. Nous célébrons la réconciliation de toute la création, de toutes les créatures en Dieu, par le mystère de l’incarnation du Verbe de Dieu. Cette réconciliation est déjàaccomplie en Christ, alors que nous n’en voyons que les prémices. C’est déjàlà, mais en même temps ce n’est pas encore là, pour nous qui vivons dans le temps fini. Cette réconciliation, nous avons àla travailler, àla faire vivre, àen être les serviteurs. Aussi cette mémoire nous inscrit sur le temps long, un temps dont nous n’avons pas la maîtrise, ce qui suppose que nous acceptions de poser des actes qui bénéficieront aux générations futures, dont nous ne verrons que les prémices, mais dont les générations futures récolteront les fruits. L’espérance nous fait entrer dans une démarche qui nous libère du poids de la culture individualiste, rivée au présent immédiat, en nous reliant aux générations qui nous ont précédés, àcelles qui sont ànaître.
Jean-Claude Guillebaud, journaliste essayiste, a écrit il y a quelques années un petit livre intitulé « Une autre vie est possible ». Il fait le constat que si notre société est en mutation, il nous faut éviter de regarder ces maux de manière séparée, mais les combiner pour en relever ensemble les défis. Citant Antoine de Saint-Exupéry : « l’avenir, tu n’as pas àle prévoir mais àle permettre », Jean-Claude Guillebaud nous rappelle que l’espérance, qui nous vient d’une lecture juive et chrétienne de l’histoire, n’est pas l’attente d’un nouveau monde, mais celle d’un monde autre que nous avons àtransformer. Autrement dit, n’attendons pas un « Deus ex machina » qui opérera la transformation de notre monde sans notre participation. La lecture de foi des baptisés est celle du mystère de l’incarnation ; nous croyons en cette présence de Dieu qui habite notre fragilité humaine. Elle nous accompagne, nous soutient, nous nourrit, tout en nous responsabilisant.
Le pape François dans le développement de son encyclique « Laudato Si’ », en nous invitant àremettre en question les modèles de développement, de production et de consommation de nos sociétés, écrit comme un refrain, que « tout est lié ». Il nous appelle àvoir les réalités en interconnexion. Nous ne résoudrons pas les questions écologiques en les séparant des questions sociologiques et anthropologiques.
La crise que notre monde traverse est une seule et même crise socio-environnementale, ce qui suppose que nous prenions en compte les interactions des systèmes naturels entre eux avec les systèmes sociaux imaginés et construits par l’humain. Bref, la vision d’une écologie intégrale suppose que nous revisitions tous les paramètres de la culture, c’est-à-dire ce que l’humain « construit » pour habiter cette terre, en considérant toutes les réalités comme celles de notre habitat urbain, nos modes de transports, nos systèmes économiques, notre rapport au monde animal et végétal, etc…. en ayant comme visée celle du bien commun devant exister entre toutes ces réalités. Elles ne peuvent bien vivre et exister qu’en étant en interconnexion. La clé de cette bonne interconnexion étant, pour le pape, d’entendre et d’accueillir la voix du plus petit et du pauvre, de celui qui pourrait être exclu ou mis hors du système, toute réalité créée ayant une raison d’être.
Un film revigorant, qui a fait l’objet d’un débat stimulant au « Café-Ciné » peut éclairer ce propos. Il s’agit de « Demain » de Mélanie Laurent et Cyril Dion. Ce documentaire est né du désir de trentenaires de sortir d’une vision passive devant les menaces de l’effondrement des écosystèmes annoncé par les savants.
Jeunes parents, ils se sont posé la question de savoir quel monde ils laisseraient àleurs enfants, et pour sortir de la déprime se sont mis en quête de savoir si des solutions alternatives existaient. Ce film propose de revisiter cinq points d’attention : notre rapport àl’agriculture, àl’énergie, àl’économie, àla démocratie et àl’éducation. Tous ces points fonctionnant en interaction.
En mettant bout àbout ces initiatives positives et concrètes qui fonctionnent déjà, ces réalisateurs nous amènent àprendre conscience de ce que pourrait être le monde de demain, si nous acceptions aussi d’en être les acteurs …
Ce film est un vrai film citoyen, il offre un service public d’appréciation des problèmes et des solutions qui doivent s’articuler. Je conseille vivement aux parents de voir ce film en famille, si leurs enfants sont adolescents, pour en discuter ensuite. Si le propos des réalisateurs n’est pas d’aborder la foi, les questions très concrètes qu’ils abordent et le regard qu’ils posent me font toucher cette responsabilité d’incarner ce qui nous fait vivre. J’y vois aussi une espérance laïque qui interpelle notre responsabilité citoyenne. Un bon film àvoir pour stimuler notre réflexion en temps de carême.
Antoine Adam, recteur de Saint Bonaventure et chapelain de l’Hôtel-Dieu