L’Edito de Saint-Bonaventure
Dimanche 24 janvier, àl’occasion du jour de la fête de saint François de Sales, patron des journalistes et écrivains, Colette Nys Mazure a écrit l’éditorial de la semaine pour St-Bonaventure
À Saints Michel et Gudule de Bruxelles, l’aumônier des artistes propose chaque année une Messe des artistes ; j’aime ces moments de recueillement inventif, de célébration de la Beauté, l’autre nom de Dieu. Je me réjouis que, dans ce sanctuaire urbain de Saint-Bonaventure, s’annonce une Messe des poètes et des écrivains.
Mon enfance s’est enchantée du récit d’origine arabe Ali Baba et les Quarante Voleurs. Au mot de passe « Sésame », s’est ouverte la caverne contenant les trésors volés par les brigands ; je m’en suis emparée. Les arts et particulièrement la littérature élèvent, par tous les sens, donnent signification et orientation ànotre quête. Nous savons que dans les pires circonstances la poésie a aidé des humains àgarder leur dignité, àvivre debout.
Par essence la poésie est hospitalière. La langue française crée une heureuse confusion en appelant hôte celui qui reçoit aussi bien que celui qui est reçu. Elle permet de ressentir la réciprocité de tout accueil, la qualité de présence, de ravissement silencieux. Tel cet instant saisi par le haïku du Japonais Ryôta : « Ils sont sans parole/ L’hôte son invité/ Et aussi le chrysanthème blanc. »
On peut dire de tout art qu’il joue sur cette polysémie du mot hôte, entre le créateur et le bénéficiaire qu’il soit auditeur d’un concert, spectateur d’un film, regardeur d’une exposition… Dans La vie poétique, j’y crois (Bayard, 2015), j’ai tenté de souligner la dimension poétique des arts. Je peux aussi mettre en lumière leur valeur thérapeutique, salvatrice àn’importe quel âge. Régine Detambel ne nous assure-t-elle pas que Les livres prennent soin de nous (Actes Sud, 2015) ?
Alors même que nous marchons àpas comptés, que la fatigue ou le handicap bride nos déplacements, demeurent, et viennent ànous, grâce aux progrès de la technique et de l’électronique, les mille et un recours des arts sous leurs formes les plus variées. Même lorsque presque tout se sera éloigné, nous pourrons grâce aux prothèses acoustiques écouter la musique.
Je sors d’une exposition consacrée àl’œuvre de Chagall. Son expérience de vie dure et éprouvante ne fait jamais l’économie du bonheur d’être au monde. Les racines juives, les déplacements enrichissent sa​ palette et délivrent une fantaisie qui ne renie jamais l’esprit d’enfance. Des mots errent sur ses toiles intensément poétiques. Sur l’ordinateur, au creux de la main, luit le petit écran allumé, ses messages àtemps et àcontre temps, mais il n’éclipse pas la page au grain sensuel sous les doigts, le papier réconfortant, ivoire ou blanc. Quelle est la place de l’artiste dans ce monde marqué par la rentabilité, hanté par la violence, emporté par la vie dite « courante » ? Se laissera-t-il formater, dépouiller du pouvoir de l’imaginaire ? Artisan-artiste, il a besoin d’un temps et d’un espace de création. Il respire et nous invite àrespirer, àvivre vraiment plutôt qu’àêtre vécu, àsortir de notre bulle pour entrevoir quelque chose de la perception d’autrui. Héritier d’un passé, sa vision anticipe, ouvre l’avenir ; il fait crier et chanter la création. Seul ou en « correspondances », il œuvre àl’élaboration d’un univers àdimension humaine. Aujourd’hui plus que jamais, il est un veilleur et un résistant. Il dénonce ce qui réduit l’homme et célèbre la beauté sous toutes ses formes. Il ne laisse rien glisser dans l’insignifiance, mais porte témoignage d’une espérance acharnée.
Cette certitude acquise, comment développer une vive conscience d’exister ici maintenant et toujours en lien avec les frères et sœurs ? Grâce àl’attention qui suscite et entretient l’éveil, la présence au monde qui est le nôtre. Une attention qui est tout àla fois prudence et respect, concentration et rêverie menant àl’utopie créatrice si féconde. Elle est source de plaisir et de croissance continue.Cet éveil a besoin d’être entretenu dans un état de veille par-delàles ères de découragement, de fatigue et d’usure pendant lesquelles on devient vulnérable aux rumeurs délétères qui sapent nos forces de reconnaissance intrépide.
L’émerveillement, un mot qui résonne de l’éveil et de la veille, suppose l’étonnement d’être et de vivre en persévérant dans son être. Je lis en ce moment le chef d’œuvre de France Pastorelli, Servitude et grandeur de la maladie ; et je m’émerveille de cette aventure hors du commun relatée d’une écriture soutenue qui ouvre àchacun sa voie intérieure. Dans le sillage de notre François providentiel, nous sommes invités ànous engager dans la louange de cet univers et àdénoncer ce qui en corrompt l’âme. Blaise Pascal écrivait Éternellement en joie pour un jour d’exercice sur la terre. Une messe des écrivains, des poètes est un moment de grâce ici àSaint-Bonaventure.
Colette Nys-Mazure,ÂÂ
Dernier ouvrage publié : Cette obscure clarté, Salvator, 2015