Cinq ans après la publication de Laudato si, Pentecôte 2015, le Pape a réitéré son message en 2020, annonçant une année Laudato si en 2020/2021 et un programme de sept ans pour promouvoir sa mise en œuvre concrète. Le P. Antoine Adam, prêtre référent auprès de Saint Martin de France, revient sur les liens entre l’encyclique et la formation des jeunes.
En quoi consistait votre intervention de la rentrée des classes en cette année Laudato si ?
P. Antoine Adam : Mon intervention consistait en une présentation de l’encyclique au corps enseignant et éducatif de Saint Martin de France. Laudato Si pose un discernement sur les crises écologiques, technocratiques et sociales que traversons, impliquant la détérioration de la biosphère et les conditions de vie des plus pauvres : autant d’éléments qui viennent hypothéquer notre avenir sur terre.
Laudato si invite-t-elle àrepenser la façon d’enseigner ?
A.A : Nous sommes fondamentalement en interdépendance. Tout est lié. Les problèmes et les questions que soulèvent ces crises systémiques, doivent être pensés dans une vision globale (ce qui ne veut pas dire totalisante). Nous entendons parler aujourd’hui de transition écologique, au risque de penser que cette étape ne serait que transitoire, pour retrouver le monde idéalisé du marché et du plein emploi…  Cette « transition » induit un chemin de conversion vers une écologique intégrale, c’est-à-dire prenant en charge, non seulement les questions environnementales mais aussi les questions sociétales, puisque notre monde et celui du vivant entrent sans cesse en interaction. Cette écologie intégrale n’est pas encore làdans notre manière d’habiter la terre, c’est pourquoi nous pouvons parler de transition, c’est-à-dire que nous cherchons àl’incarner, mais que cela n’est pas encore là, car cela suppose de quitter l’ancien monde…  La culture écologique nous pousse àêtre plus attentif au monde relationnel qui nous constitue comme être vivant.
Nous devons réinventer nos modèles de construction et d’échanges, pour entrer dans une intelligence dialogale. Pour le monde de l’enseignement, cela demande que nous ayons le courage de revisiter nos pratiques éducatives. Dans la culture du dialogue évoquée par le Pape François, il me paraît essentiel de prendre le temps de réfléchir, en travaillant davantage en équipe, en interaction.  Nous sommes héritiers en France d’un modèle éducatif très vertical qui isole le professeur dans l’exercice de sa discipline face àses élèves. C’est un enseignement très didactique.
La crise nous pousse àinventer, àtrouver d’autres contenants, comme le dit l’Évangile : « A vin nouveau, outres neuves ! » (Marc 2, 22). Comment travailler davantage en transversalité, en impliquant plusieurs professeurs dans la construction des cours avec la participation de leurs élèves, cela dans la visée de l’émergence d’une plus grande intelligence collective ? Tel est le défi et le service que peut rendre l’école en aidant les jeunes àtravailler ensemble, en les aidant àfaire confiance aux talents qu’ils recèlent et méconnaissent. Notre monde aura besoin de plus en plus de citoyens responsables ayant en vue la sauvegarde de notre bien commun, sachant travailler en équipe, ouverts àl’altérité du dialogue, en interrogation permanente.
Quelles peuvent être les difficultés rencontrées et les remèdes ?
A.A : Travailler vers plus de transversalité, par interdisciplinarité, nécessite de travailler la confiance. Nous devons passer d’une logique de compétition et de rejet du plus faible àune intelligence collective, intégrant chacun dans sa particularité humaine. Est-ce que des classes surchargées favorisent l’émergence de cette confiance ? Je n’en suis pas sûr. Pour faire grandir l’esprit d’écoute et de dialogue et pour oser s’exprimer, les adolescents ont besoin de se sentir en confiance dans le groupe, sinon, seuls ceux qui ont la parole facile s’expriment… et dominent ! Cette confiance est plus facile àgagner en petit groupe.
Par ailleurs, la réforme du bac m’interroge. Elle a été pensée pour un monde libéral et consumériste qui paradoxalement va vers sa fin avec la crise sanitaire due àla Covid. Les lycéens vont choisir leur parcours en fonction de leurs goûts et de leurs ambitions. Ces parcours parcellisent, fractionnent leur temps et leurs relations, au détriment d’une appartenance commune. Il me semble que là, la réforme dans l’école fragilise le tissu d’où peut naître une conscience citoyenne.
La plupart des établissements scolaires se sont maintenant emparés de la question de l’écologie…
A.A : Oui, mais j’ai du mal àvoir encore ce qui émerge. Nous n’en sommes qu’aux prémices, aux commencements. Nous débutons et tâtonnons en posant des questions de base comme celle du tri sélectif, de nos modes de consommation, de notre rapport au numérique, àla solidarité…  Cette année, le thème de Saint-Martin-de-France est « Nos gestes, notre Terre, notre futur ! » ; les élèves sont donc invités – en étant accompagnés – às’engager dans des actions de respect de l’environnement au quotidien, àouvrir dans l’espace de l’enseignement scolaire les questions écologiques qui les taraudent. Toute la question est de savoir comment chaque professeur et chaque éducateur, tout comme chaque équipe de direction, fait sienne, pour les années qui viennent, cette question de la transition écologique, et de voir en conséquence ce que cela fait bouger, ce qui se déplace. Les Écritures bibliques nous offrent des ressources pour ne pas avoir peur de ces changements. Au contraire, l’époque que nous vivons offre des occasions rares d’invention collective. Ne bridons pas cette créativité, mais accompagnons-la, en soutenant la jeunesse qui a le dynamisme qu’il faut pour s’atteler àcette tâche, mais àqui manque le regard d’espérance, que les aînés, burinés par l’expérience, peuvent leur donner.