C’est un malheur que le nôtre si nous ne nous laissons plus surprendre, interroger, déplacer par le mystère que nous célébrons : celui de l’incarnation du Dieu créateur en notre humanité. Quand nous chantons àla messe, après la consécration du pain et du vin, au moment de l’anamnèse : « Il est grand le mystère de la foi », quelle parole émettons-nous qui peut entrer en résonance avec notre actualité ? Notre proclamation n’est-elle pas dite comme dans un scaphandre ne laissant pas passer le souffle de la foi àl’air que nous respirons ? C’est peut-être pour avoir trop longtemps pensé la foi chrétienne (c’est àdire la foi en Quelqu’un qui rejoint nos chemins d’humanité) comme une affaire privée, dissociée des réalités humaines que nous vivons, hermétique àtoute réalité sociale touchant nos centres d’intérêts, que nous avons perdu le goût de ce que nous croyons et célébrons. Quel intérêt alors de célébrer ces jours-ci la fête de tous les saints et le jour des défunts ? En quoi cela donne-t-il du sens pour vivre ?
Qu’est-ce qu’un saint, selon l’Église ? Un baptisé qui laisse le Christ prendre chair en son humanité. Un humain qui a laissé le Christ entrer dans sa vie, et laissé lui insuffler 30% 40% ou 99 pour cent de sa manière d’aimer. D’où le paradoxe des saints, ils gardent des défauts et des limites très humaines et en même  temps,  qu’ils  soient  jeunes ou vieux, hommes ou femmes, ils laissent transparaître quelque chose de la présence du Christ ànotre humanité.
En célébrant le jour des défunts, nous touchons la marque de notre finitude : la mort. Elle met un terme aux choix que nous avons àopérer en ce temps fini, comme la gestation d’un foetus dans le ventre de sa mère. Si ce jour des défunts nous permet de prier et de penser àceux qui ne sont plus de ce monde, il nous pose également la question de notre responsabilité dans notre rapport au temps. Sommes-nous seuls face àcette responsabilité ou bien dans le temps qui est le nôtre, croyons-nous que « Quelqu’un » vient nous donner accès àsa manière d’aimer ? Quelqu’un qui nous fait passer cet art d’aimer, du fini àl’éternité.
Pour ces deux jours de fête, j’aimerais vous conseiller la lecture de deux petits livres qui peuvent stimuler votre réflexion. Un document du conseil permanent de la conférence des évêques de France :   « Dans un monde qui change, retrouver le sens du politique » et « Veilleur, où en est la nuit ? » du dominicain Adrien Candiard. L’adhésion àl’Évangile, àla personne du Christ, implique toujours une culture et un art du vivre ensemble. C’est pourquoi les questions sociales et politiques sont inhérentes àla chair de l’Évangile, àla vie des saints, àla vie de l’Église. Le document des évêques de France est un vrai service rendu ànotre vie républicaine : il nous donne des pistes de réflexion au moment où nous entrons dans une période de réflexion avant de poser des choix électoraux. Ces deux petits livres nous posent au fond la question de l’espérance qui est la nôtre. Sur quoi et sur qui la fondons-nous ?
Antoine Adam, recteur de saint-Bonaventure et chapelain de l’Hôtel Dieu