De l‘Hôtel de Fieubet à l’école Massillon
Un ouvrage d’Etienne Faisant, Alexandre Gady et François-Xavier Carlotti
Le touriste pressé comme l’amateur attentif connaissent bien l’école Massillon : qui n’a un jour remarqué cette masse posée sur la Seine dont le décor fleuri, sinon exubérant, ne manque pas d’attirer l’oeil? Cette étrange apparence résulte du rêve inachevé d’un homme d’affaires du XIXe siècle, et dissimule en réalité un passé multiséculaire : celui d’un hôtel aristocratique, né du Moyen Âge et auquel le Grand Siècle a donné ses principales dispositions et un nom, celui de la famille de Fieubet.
Une telle histoire, singulièrement complexe, explique sans doute que cette monographie soit la première consacrée àl’édifice devenu l’École Massillon. Elle s’inscrit pourtant dans une tradition historiographique qui remonte au milieu du XIXe siècle et qui a contribué àécrire l’histoire de Paris et de ses anciens quartiers, dont le Marais forme un des plus beaux fleurons.
Cette ancienne zone de marécages, colonisée au haut Moyen Âge et intégrée àla capitale au XIVe siècle, présente aujourd’hui un patrimoine exceptionnel, riche d’un ensemble considérable d’édifices élevés entre le XVe siècle et le XVIIIe. Parmi tant de belles demeures célèbres habitées par de grands noms de l’histoire de France, notre hôtel de Fieubet ne compte àl’évidence pas parmi les plus fameuses. Ici, point de Mme de Sévigné, pas d’illustre lignée aristocratique de l’Ancien Régime, mais une série de familles aujourd’hui bien oubliées. Cette absence même a toutefois un intérêt : on perçoit ici, mieux qu’ailleurs peut-être, la réalité de la société du quartier.
Née du beau Marais royal du Moyen Âge, cette demeure a été bâtie àla Renaissance, dans les années où ce lieu attire la fine fleur de la Finance
Née du beau Marais royal du Moyen Âge, cette demeure a été bâtie àla Renaissance, dans les années où ce lieu attire la fine fleur de la Finance ; agrandie sous Henri IV, quand le secteur connaît un formidable essor immobilier, avec la place Royale (des Vosges) ; enfin transfigurée par Jules Hardouin-Mansart, l’architecte de Louis XIV, au moment où le Marais jette ses derniers feux, àla fin du XVIIe siècle. Sans perdre pour autant son statut, l’hôtel de Fieubet connaît ensuite un assoupissement au XVIIIe siècle, quand les faubourgs Saint-Germain et Saint-Honoré s’imposent. Après la Révolution, il est affecté par l’industrialisation du Marais, devenant même une usine ! Jusque-là, l’histoire de cette demeure est bien conforme àcelle du quartier en général et de tant d’autres propriétés en particulier. Pourtant, ce destin a été bouleversé par l’ambition folle d’un homme, le comte de La Valette : sous le Second Empire, quand Paris se transforme mais que le Marais reste àl’écart de la ville lumière, cet original a voulu fabriquer ici un monument unique, une résidence àla mesure de sa démesure, manifeste en pierre de ses idées monarchistes.
La ruine ayant empêché l’accomplissement de ces chimères, l’hôtel a trouvé une nouvelle vie en devenant le siège d’une école catholique qui, àl’instar de tant de pensions du Marais de Balzac
La ruine ayant empêché l’accomplissement de ces chimères, l’hôtel a trouvé une nouvelle vie en devenant le siège d’une école catholique qui, àl’instar de tant de pensions du Marais de Balzac, gravite àl’origine dans l’orbite du grand lycée Charlemagne. Ce  nouveau chapitre fait l’objet de la seconde partie de l’ouvrage. La renommée d’un simple externat de lycéens,  dont les Pères de l’Oratoire accompagnent l’éducation scolaire et chrétienne, conduit àl’achat du bâtiment, qui abrite dès lors des élèves et leurs maîtres en soutane noire. Son destin étant désormais lié àcelui de l’école, le vaisseau de pierre est àmême d’affronter, de surmonter  les turbulences et les défis de l’Histoire. Ultime mutation qui devait entraîner, àson tour, travaux et aménagements qui ont fait de l’ancien hôtel l’édifice que nous connaissons aujourd’hui, au gré des besoins et des succès de « Massillon ».
Cette dernière évolution prend place dans un contexte plus large : celui de la sauvegarde du Marais, acquise seulement depuis le début des années 1960, puis de sa valorisation par les pouvoirs publics comme par les particuliers àl’oeuvre depuis un demi-siècle. Cet impératif patrimonial est venu ajouter àla complexité de l’histoire en rappelant ànotre société que le passé, loin d’être mort, constitue un extraordinaire enrichissement. Un tel enjeu concerne  chacun d’entre nous : préservation et transmission constituent les deux visages de cette histoire-là.
Alexandre Gaudy est professeur d’histoire de l’art moderne àl’université Paris-Sorbonne et directeur du Centre André-Chastel. Spécialiste de l’architecture et de l’urbanisme aux xviie et xviiie siècles, il est notamment l’auteur de Le Marais, Guide historique et architectural (Le Passage, 2004), Jacques Lemercier, architecte et ingénieur du roi  (Maison des sciences de l’homme, 2005, ouvrage couronné par l’Institut), Les Hôtels particuliers de Paris, Du Moyen-Âge à la Belle époque (Parigramme, 2008), Jules Hardouin-Mansart, 1646-1708 (dir.) (Maison des sciences de l’homme, 2010), Versailles. La fabrique d’un chef-d’oeuvre (Le Passage, 2011), et Le Louvre et les Tuileries. La fabrique d’un chef-d’oeuvre (Le Passage, 2015). Depuis 2011, il est président de Sites et Monuments, la plus ancienne association de défense du patrimoine, reconnue d’utilité publique.
Etienne Faisant est docteur en histoire de l’art de l’université Paris-Sorbonne. Post-doctorant au sein du Labex Les Passés dans le présent, il est en charge de la constitution d’un corpus de sources sur le château et le domaine de Saint-Germain-en-Laye. Il a notamment publié Le Château de Fontaine-Henry (Société des antiquaires de Normandie, 2010), « L’Hôtel de Condé, une demeure princière au faubourg Saint-Germain » (in Monuments et mémoires de la fondation Eugène Piot, t. 94, 2015, p. 243-283), « Au château de Limours : Salomon de Brosse, François Mansart et André Le Nôtre » en collaboration avec Alexandre Cojannot (Bulletin monumental, t. 174-2, 2016, p. 165-186) et « François Mansart, architecte
de la transformation du château du Tremblay-sur-Mauldre » (Revue de l’Art, n° 193, 2016-3, p. 57-64).
François-Xavier Carlotti est professeur d’histoire-géographie, docteur en histoire religieuse, politique et culturelle. Sa thèse, soutenue devant l’université Jean Moulin-Lyon 3, comme ses travaux les plus récents, portent sur l’Oratoire de France aux xviie et xviiie siècles. Il est chercheur associé au Laboratoire de Recherche Historique Rhône-Alpes (UMR 5190), a été chargé de cours en histoire moderne àl’Université de Provence (Aix-Marseille I) et àcelle d’Avignon-Pays-de-Vaucluse.