Des Oratoriens méditent la Bible. François Picart (22.10.2017)
Cette méditation est également parue dans le journal La Croix, sous le titre « L’homme, sanctuaire fragile de Dieu ».
Cette méditation est également parue dans le journal La Croix, sous le titre « L’homme, sanctuaire fragile de Dieu ».
Alors les pharisiens allèrent tenir conseil sur les moyens de prendre Jésus au piège de ses propres paroles.
Ils envoyèrent vers lui leurs disciples avec les hérodiens. Ils lui dirent: «Maître, nous savons que tes paroles sont vraies et que tu enseignes le chemin de Dieu en toute vérité, sans te laisser influencer par personne, car tu ne regardes pas àl’apparence des personnes.
Dis-nous donc ce que tu en penses: est-il permis, ou non, de payer l’impôt àl’empereur?»
Mais Jésus, connaissant leur méchanceté, répondit: «Pourquoi me tendez-vous un piège, hypocrites?
Montrez-moi la monnaie avec laquelle on paie l’impôt.» Ils lui présentèrent une pièce de monnaie.
Il leur demanda: «De qui porte-t-elle l’effigie et l’inscription?» «De l’empereur», lui répondirent-ils. Alors il leur dit: «Rendez donc àl’empereur ce qui est àl’empereur et àDieu ce qui est àDieu.»
Etonnés de ce qu’ils entendaient, ils le quittèrent et s’en allèrent..
Matthieu 22,15-22
Présent dans les trois évangiles synoptiques, l’adage est connu : « rendez àCésar ce qui est César et àDieu ce qui est àDieu ». Il est souvent utilisé pour attribuer le mérite d’une action àson véritable auteur, ou de façon anachronique, pour justifier une laïcité de séparation qui nous sortirait d’un régime de chrétienté.
Alliés aux partisans du roi Hérode, les pharisiens cherchent àpiéger Jésus : s’il est partisan de payer l’impôt, il légitime l’autorité de l’empereur, symbole d’un pouvoir idolâtré. Il passerait alors pour un collaborateur de l’occupant romain, peu compatible avec sa mission de Messie libérateur attendu par les Juifs. S’il refuse, il pourra être accusé d’être un agitateur, un rebelle et dénoncé comme tel par ses ennemis.
Jésus s’en sort par le haut, en déplaçant le raisonnement du registre politicien des petits arrangements entre amis ayant un intérêt commun, vers le registre du politique en charge du Bien commun de la cité. Il commence par confondre les pharisiens qui, par leur pratique, répondent àla question posée. Puisqu’ils possèdent la monnaie de l’impôt, ils participent déjàde ce réseau de relations qui se réfère ultimement àl’empereur romain. Leur perversité est démasquée.
Pour interpréter le « ce qui appartient àDieu », reprenons la notion d’effigie avec laquelle Jésus répond àses interlocuteurs. Si celle de César est sur les pièces de l’impôt, où est celle de Dieu, sinon dans l’épiphanie qu’en donne celui qui s’exprime ? Jésus incarne la manifestation de Dieu, accomplissant dans son humanité, la promesse contenue dans la création de l’Homme àl’image de Dieu : « Dieu fit l’Homme àson image, àl’image de Dieu il le créa, il les créa homme et femme. » (Gn 1, 27). Jésus révèle àl’humanité sa grandeur, ce que le document conciliaire Gaudium et spes, exprime en désignant la conscience humaine comme un « sanctuaire ». Cette conception est renforcée par la parabole du jugement dernier (Mt 25, 40), où le Ressuscité s’identifie avec celles et ceux qui auraient bien des raisons d’en douter. Nous portons tous ce trésor dans des vases d’argile. C’est pourquoi, de génération en génération, cette promesse dont l’Homme bénéficie gracieusement, est àreprendre dans une perspective éthique : elle est aussi une responsabilité envers celles et ceux qui sont confrontés àla complexité et la dureté de l’existence.
À la différence de l’effigie de César sur des pièces de monnaie formatées, l’effigie de Dieu dans la pâte humaine relève d’un paradoxe, celui d’un « néant capable et rempli de Dieu, s’il veut… », bien exprimé par Pierre de Bérulle, repris par Pascal sur ce point. « Ce qui appartient àDieu » peut être compris comme la fidélité avec laquelle Dieu prend soin d’une parole proposée pour alimenter l’espérance de celles et ceux qui cheminent, en laissant travailler leur complexité par elle : « Ta foi t’a sauvé » ne cesse de dire Jésus àses interlocuteurs. Ceci suppose des espaces de respiration, de liberté et de créativité permettant àchacun de trouver une juste place. La responsabilité du politique est engagée lorsque, dans des pans chaque jour plus importants de nos existences, l’irruption des nouvelles technologiques dérive en un calibrage et un formatage qui menacent la capacité créatrice de l’être humain.
En effet, dans la bouche du juif Jésus, désigner l’Homme comme porteur de l’effigie de Dieu, implique de prendre en compte sa transcendance. À ce titre, cette effigie précède et juge celle de César, de même qu’elle juge l’effigie ou « la marque » dirait-on aujourd’hui de tous les systèmes, au sens où Camus disait qu’« une société se juge àl’état de ses prisons », àcelui des lieux privatifs de liberté peut-on compléter pour inclure les centres de rétention administrative. Compte tenu du chaos qui y règne, la réponse de Jésus rappelle fort pertinemment tous les acteurs de la vie de la cité, religieux et politique, àleur responsabilité : celle de veiller sur la digne condition de l’Homme.
François Picart, prêtre de l’Oratoire