La mission de Philippe Neri
Par John Henry Newman.
« La Mission de Philippe Neri » est un sermon extrait de « Saint Philippe Neri », Ad Solem, 2010. Introduction et notes de Keith Beaumont.
Le sermon La mission de saint Philippe Neri par John Henry Newman fut prêché en deux parties, les 15 et 18 janvier 1850, àl’Oratoire de Birmingham, pour marquer le deuxième anniversaire de la fondation de l’Oratoire en Angleterre. Il fut publié ensuite dans Sermons Preached on Various Occasions en 1857. Newman s’adresse àun public constitué àla fois des Pères et Frères de l’Oratoire et d’amis laïcs de la communauté. Ce long sermon contient le portrait le plus détaillé de saint Philippe que nous possédons de l’auteur.
           Le lecteur moderne peut se trouver quelque peu gêné par le portrait assez mélodramatique que Newman nous brosse dans ce sermon de la Renaissance italienne. Spécialiste de l’histoire de l’Église des premiers siècles, il reste tributaire ici de la vision de la Renaissance courante àson époque, marquée par le romantisme. Son langage aussi est caractérisé par l’hyperbole et la recherche d’effets : on y trouve une profusion de mots comme « bouleversement », « passion », « génie », « intoxication », « débauche » , « idolâtrie », « iniquité », et ainsi de suite. Force est de constater que, pendant quelques années, le style du prédicateur se laisse influencer par la grandiloquence de certains grands prédicateurs catholiques d’alors ! Enfin, il faut reconnaître, àla lumière de recherches historiques plus récentes, que son portrait du grand réformateur dominicain de Florence, Jérôme Savonarole (1452-1498), demanderait àêtre corrigé : le désir de Newman de créer une typologie – mettant en contraste deux attitudes opposées envers la « culture » profane et deux méthodes de réforme – conduit àdes simplifications excessives.
           Cependant, le véritable intérêt de ce texte est ailleurs. Newman ne parle pas d’abord ici en historien, mais en guide moral et spirituel. À ses auditeurs laïcs, il affirme au sujet de Philippe que c’est en « méditant sur ce sujet que vous comprendrez plus clairement ce que l’Oratoire se propose de faire pour vous » ; et aux Pères de l’Oratoire, il propose de montrer comment lui et eux peuvent « trouver dans son œuvre et dans sa manière de l’accomplir un modèle pour nous aujourd’hui ».
Philippe [Neri] fit preuve àRome de douceur, d’amabilité et d’humilité ; il accueillit avec bienveillance la culture « profane », préférant chercher àla transformer de l’intérieur. Ainsi poursuivit-il « les objectifs de Savonarole, mais non pas par les méthodes de Savonarole » ; et il réalisa ainsi une œuvre beaucoup plus durable.
           La première source d’intérêt de ce sermon se trouve donc dans ce que Newman montre de l’attitude de Philippe envers les hommes et la culture, àtravers le contraste qu’il établit entre celui-ci et Savonarole. Ce dernier, qui domina la ville de Florence de 1491, date àlaquelle il devint prieur du couvent des Dominicains, jusqu’àsa mort sur le bûcher en 1498, agissait par la violence, àla fois verbale et physique. Il vitupérait, apostrophait, dénonçait, condamnait ; et il exigea et organisa la destruction de tout ce qui àses yeux était contraire àla pureté d’un idéal chrétien profondément ascétique. Aussi condamnait-il en particulier la totalité de la culture antique parvenue jusqu’ànous et tous les fruits de la créativité artistique des hommes de son temps, et invita par deux fois la population de Florence àjeter tous ces objets sur un immense bûcher auquel on mit ensuite le feu. Enfin, dit Newman, il oublia l’humilité, valeur fondamentale pour l’auteur comme pour Philippe : il « devint présomptueux » et « s’exalta lui-même ». Sa chute s’ensuivit rapidement, et la réforme qu’il avait réalisée àFlorence fut de courte durée. Philippe, en revanche, fit preuve àRome de douceur, d’amabilité et d’humilité ; il accueillit avec bienveillance la culture « profane », préférant chercher àla transformer de l’intérieur. Ainsi poursuivit-il « les objectifs de Savonarole, mais non pas par les méthodes de Savonarole » ; et il réalisa ainsi une œuvre beaucoup plus durable.
           La deuxième source d’intérêt du sermon réside dans les affirmations de Newman concernant les rapports entre Philippe et les « trois patriarches vénérables » de l’Église latine, saint Benoît, saint Dominique et saint Ignace de Loyola. Ces pages comportent, il faut bien le reconnaître, un élément de spéculation de la part de l’auteur. Ce qu’il dit sur Philippe et saint Benoît reste largement hypothétique, car nous ne possédons aucun renseignement précis sur un éventuel séjour de Philippe au célèbre monastère bénédictin du Mont Cassin. Ce qui est certain, en revanche, c’est que Philippe était profondément marqué par la spiritualité monastique, tant celle des Pères du désert que celle de la tradition bénédictine primitive, et qu’il garda toute sa vie durant quelque chose d’un « moine » en plein cœur de la ville. Ce que Newman dit des rapports entre Philippe et les dominicains paraît beaucoup mieux fondé, car les données historiques ici sont nombreuses. Quant àun éventuel rapport entre Philippe et saint Ignace, il semble certain que les deux hommes se sont rencontrés – c’est même le contraire qui serait étonnant – mais nous ne savons rien de l’étendue de leurs relations. En revanche, Philippe connaissait et vénérait certains des compagnons d’Ignace, notamment saint François Xavier.
Dans cette triple influence sur Philippe de Benoît, de Dominique et d’Ignace, on peut voir quelque chose de l’admiration de Newman lui-même pour la spiritualité de ces trois grands fondateurs et pour les ordres qu’ils fondèrent.
           Mais il faut voir avant tout, ici encore, dans ces trois portraits la création encore une fois d’une typologie : les trois figures de Benoît, de Dominique et d’Ignace représentent trois attitudes possibles face àDieu, àl’Église et au monde, attitudes qui correspondent grosso modo àtrois époques historiques successives mais sans s’identifier pourtant avec elles. Ces trois attitudes sont, respectivement : l’appel àla vie contemplative, la recherche de Dieu dans le silence et la solitude ; l’effort pour réconcilier la foi avec la culture et le savoir « profanes » ; et le rapprochement entre l’Église et le « monde », avec la possibilité de suivre le chemin de la sainteté dans le « monde ». Philippe les illustre et les réunit toutes les trois : « comme il apprit de saint Benoît ce qu’il devait être, et de saint Dominique ce qu’il devait faire, […] il apprit de saint Ignace comment il devait le faire ». Dans cette triple influence sur Philippe de Benoît, de Dominique et d’Ignace, on peut voir quelque chose de l’admiration de Newman lui-même pour la spiritualité de ces trois grands fondateurs et pour les ordres qu’ils fondèrent.
           Enfin, la troisième source d’intérêt du sermon se trouve dans le rapport établi par Newman entre le monachisme primitif – en particulier celui du temps de saint Benoît – et l’Oratoire fondé par saint Philippe.
           Le sermon se termine par une évocation du rayonnement extraordinaire exercé par Philippe sur la ville de Rome, grâce àsa douceur, àson amabilité, àsa disponibilité, àson humilité profonde, et enfin àson art d’être (comme saint Paul) « tout àtous ».
Keith Beaumont, prêtre de l’Oratoire (traduction de Keith Beaumont et Paul Veyriras)
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Ce texte est extrait de John Henry Newman, Saint Philippe Neri, Ad Solem, 2010. Introduction et notes de Keith Beaumont.