Digérer le mystère Pascal, mystère du crucifié ressuscité
Par Antoine Adam, recteur de Saint-Bonaventure et chapelain de l’Hôtel-Dieu
J’ai toujours aimé le temps pascal. Ce temps de cinquante jours qui suit le carême après la fête de Pâques. Trop souvent après les célébrations de la semaine sainte (qui ont épuisé les laïcs et les prêtres investis dans ces célébrations) nous baissons les bras en nous disant que l’essentiel est là. Or nous risquons de perdre l’attention qu’il nous faut avoir du travail de l’Esprit en nos cœurs, en ce temps particulier qui nous oriente vers la Pentecôte.  Pâques est trop souvent vu comme un sommet et une fin, après les quarante jours du carême.
La proclamation de la résurrection du crucifié est une telle nouvelle qui ébranle les certitudes des mortels que nous sommes (car qui a vu quelqu’un revenir de chez les morts ?), quelle a besoin de temps pour être comprise et assimilée. Cette nouvelle, qui est le roc sur lequel repose l’annonce de l’Évangile, nous pourrions oublier qu’il a fallu du temps chez les premiers disciples de Jésus pour qu’ils l’intègrent. Ce n’est vraiment que cinquante jours plus tard que les disciples ont pu commencer àmettre des mots sur l’indicible, l’incroyable, l’inouï. Bref, il a fallu qu’ils digèrent deux chocs successifs que sont la mort et la résurrection de Jésus. On peut comprendre qu’il nous faille intégrer ce processus dans le temps et qu’on n’accueille pas la bonne nouvelle de Pâques sur un claquement de doigt volontariste !
Posons-nous la question de l’insistance, et ce dès les premiers temps de l’Eglise, sur les derniers jours de la vie de Jésus àJérusalem, le récit de sa Passion.
Pourquoi les célébrations du triduum pascal s’articulent-elles autour de ces récits violents où Jésus vient accomplir les Ecritures ? Il se trouve que cette année, le 25 mars, fête de l’Annonciation qui enclenche le mystère de l’incarnation, coïncidait avec la célébration du vendredi saint, c’est-à-dire la marque la plus évidente de l’incarnation de Dieu en notre humanité : Il est présent ànotre humanité comme un homme véritable. En mourant comme un homme, en se vidant de lui-même, en donnant et perdant son souffle sur le bois de la croix. La première Église est en ruine le soir du dernier repas de Jésus, quand les disciples abandonnent leur maître après son arrestation au jardin de Gethsémani.
Ils n’ont rien compris et se sont trouvés complètement désorientés après la mort de Jésus. Leur espérance est en berne quand ils ferment le tombeau où le corps défiguré de leur maître repose. Ce n’est que peu àpeu, par la venue furtive du ressuscité les reliant àla mémoire des Écritures, que l’intelligence et le cœur des disciples éclairée par l’Esprit, vont s’ouvrir àce que Dieu fait naître, làoù ils ne voyaient que désastre. Que les disciples vont vraiment naître àla foi. Puissions-nous chacun et chacune, vivre en ce temps pascal cette germination de l’Esprit Saint en notre mémoire, en intégrant le chemin du crucifié-ressuscité. N’ayons pas peur de lui confier nos peines et nos larmes, nos interrogations et ce qui nous fait scandale, afin que son regard nous donne de voir où se lit sa victoire en ce monde.
Antoine Adam, recteur de Saint-Bonaventure et chapelain de l’Hôtel-Dieu