Préface aux Écrits spirituels de Madame Acarie
Présentation par Bernard Sesé.
Editions Arfuyen, Orbey, 2004. Réédition Artège, 2018.
« On peut l’écrire hardiment, de tous les foyers religieux qui se sont allumés sous le règne d’Henri IV, nul n’égale, en éclat, en intensité, en rayonnement, l’hôtel Acarie. »
L’admiration que manifeste ainsi l’abbé Henri Brémond envers Barbe Avrillot, épouse de Pierre Acarie, fut partagée par les plus grands spirituels de son temps, àl’égard de la maîtresse de maison, que son rayonnement attirait dans ce salon  mondain. [henri Brémond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, 1923.] Le « cercle  de Madame Acarie », d’une certaine façon, annonce, en effet, les salons littéraires du XVIIe siècle, tel que l’hôtel de Rambouillet, « réunion des esprits, s’excitant mutuellement par le contact, et s »efforçant de produire ce qu’ils avaient de meilleur. »Ã‚ [G. Lanson, Histoire de la littérature française, 1910]ÂÂ
Des 1588, les premières extases de Madame Acarie, et les douleurs qui les accompagnaient, avaient inquiété son entourage et déconcerté les médecins. Le père Benoit de Canfeld y reconnut, en revanche, l’authentique présence d’une grâce surnaturelle. Jusqu’àsa mort, le 18 avril 1618, àl’age de cinquante-deux ans, Barbe Acarie, entrée dans l’Ordre du Carmel, après son veuvage, sous le nom de Marie de l’Incarnation, fut l’objet de phénomènes extraordinaires et de souffrances physiques multiples, témoins d’une vie spirituelle intense et brûlante, comme celle de la Vive flamme d’amour chantée par Jean de la Croix.
Au lendemain des guerres de religion entre huguenots et catholiques, d’une violence extrême de part et d’autre, le grand élan de renouveau religieux, provoque par le Concile de Trente (1545-1563), après l’Italie et l’Espagne, se propageait en France. La demeure de « la belle Acarie » devint, àpartir de l’année 1599, un haut lieu de spiritualité. Dom Richard Beaucousin, Vicaire et Sous-prieur de la Chartreuse de Vauvert, directeur spirituel éminent, appelé « l’oeil des contemplatifs », en fut le conseiller avise, avant son départ pour Cahors, ou il fut nomme Prieur en 1602.
Outre le capucin d’origine anglaise, Benoit de Canfeld, Pierre de Bérulle, cousin de Madame Acarie, le père Coton de la Compagnie de Jésus, confesseur d’Henri IV, d’autres reliÂÂgieux – tels que le père André Duval, docteur en Sorbonne et professeur de théologie, le prêtre Jacques Gallemant, le père Etienne Binet, Jean de Quintanadoine, seigneur de Brétigny (ordonne prêtre le 7 mars 1598), traducteur de Thérèse d’Avila, des laïques – tel que le futur chancelier Michel de Marillac – , ou encore des femmes du monde – comme Madame de Sainte-Beuve, Madame de Longueville, Madame de Maignelay -, s’y rencontrèrent. François de Sales, lors de son passage a Paris, en 1602, ne manqua pas de s’y rendre ; s’il fut, tout autant que les autres, séduit par la personnalité exceptionnelle de la maîtresse de maison, il se sentit intimide devant elle, au point de déclarer, après la mort de Madame Acarie :
« Oh, quelle faute ai-je commise, quand je ne profitai pas de sa très sainte conversation ; car elle m’eut librement découvert toute son âme ; mais le très grand respect que je lui portais faisait que je n’osais pas m’enquérir de la moindre chose. »
A l’instigation de sainte Thérèse d’Avila, qui lui apparut en 1601 et en 1602, selon le témoignage de son confesseur, le père Duval, Madame Acarie, entreprit d’introduire en France l’Ordre du carmel réformé par la grande mystique espaÂÂgnole. « Princes du sang, docteur de Sorbonne, hauts magistrats, femmes héroïques du plus grand monde et plus humble, toute la France conspirait de la fondation du Carmel français. »Ã‚ Malgré l’enthousiasme qu’évoque ainsi Henri Brémond, les difficultés furent grandes. « Trop est avare àqui Dieu ne suffit » : appliquant la lettre cette maxime qu’elle avait lue, quelques années auparavant, clans un livre de piété, et qui fut sa devise, Madame Acarie ne se laissa rebuter par aucun obstacle.
Le 17 octobre 1604, était fondé, au faubourg Saint-Jacques, àParis, le premier monastère de carmélites. Quelques mois plus tard, le 15 janvier 1605, un deuxième couvent était établi à Pontoise. D’autres fondations se succédèrent rapidement : Dijon (septembre 1605), Amiens (1606), Tours (1608), Rouen (1609)… Après la mort de Pierre Acarie (17 novembre 1613), Madame Acarie était entrée au carmel d’Amiens (15 février 1614) pour « se revêtir de Dieu seul ». Demeurée « sÅ“ur du voile blanc » (converse), comme le lui avait expressément demande Thérèse d’Avila (vision de juillet 1602), elle mourut au carmel de Pontoise, ou elle avait été transférée le 7 décembre 1616.
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