Éloge de la marche
Par Armelle Pinon, laïque en mission ecclésiale, membre de l’équipe rectorale de Saint-Bonaventure.
L’avez-vous remarqué ? Le printemps est vraiment arrivé. Les jours qui rallongent, le thermomètre qui, malgré quelques soubresauts, est àla hausse, les arbres qui se mettent au vert en sont des indices, tout comme les flâneurs de nos rues piétonnes ou des berges du Rhône. Sportive ou dilettante, familiale ou entre copains, seul ou en groupe, la marche est « tendance », comme disent les professionnels du marketing. Et Saint-Bonaventure n’est pas en reste, qui propose une marche spirituelle sur les pas de François de Sales du 14 au 16 mai prochain.
Mais qu’est-ce qui nous pousse àchausser nos « pataugas » pour arpenter sentiers et chemins de traverse ? Qu’est-ce qui nous pousse, àl’heure des trains àgrande vitesse et de la recherche d’efficacité maximum àchoisir de parcourir àpied un certain nombre de kilomètres en une journée ? Sans doute, les préoccupations écologiques actuelles, le désir de trouver des modes de vie plus proches et plus respectueux de la nature, ne sont-ils pas étrangers àce regain d’intérêt pour la marche. Comment, en effet, mieux approcher la nature, fût-ce dans des lieux bien balisés, qu’en se plongeant en son sein, en la découvrant àpied, en prenant le temps de regarder, d’écouter, de sentir ? Quand vitesse, immédiateté, réactivité dominent bien des aspects de notre vie, nous éprouvons le besoin de « débrancher », au point même d’accepter de ne plus être joignable làoù le téléphone ne passe pas ou mal. La marche permet alors d’ouvrir une parenthèse, de se libérer pour un temps de ces contraintes, et de se retrouver soi-même. Retrouver son propre corps, et se remettre àson rythme : trouver son souffle, son équilibre, faire l’expérience de ses limites, retrouver les joies simples de manger, boire, se reposer.
Retrouver l’unité entre corps et esprit. « L’être humain commence par les pieds » écrivait l’anthropologue André Leroi-Gourhan.
Marcher, c’est se déplacer, et ce déplacement n’est pas que physique : s’ouvrir àde nouveaux horizons, se rendre disponible, dans un environnement où les codes sociaux sont bousculés. Se laisser surprendre et se rendre disponible àl’inattendu. Aller àla rencontre de l’autre, qu’on ne croiserait pas dans son univers quotidien. « Ce qui importe dans la marche n’est pas son point d’arrivée, mais ce qui se joue àtout instant, les rencontres, l’intériorité, le plaisir de flâner… c’est exister, tout simplement, et le sentir » dit le sociologue David Le Breton dans son ouvrage « Marcher. Éloge de la marche ».
Propice àla réflexion, àla méditation et àla contemplation, le déplacement qu’offre la marche incite àun regard décalé sur son existence. Marcher n’est donc pas seulement un exercice physique, c’est aussi un exercice spirituel. Si dans de nombreuses religions, la marche est considérée comme une prière, les chrétiens ne peuvent oublier que Jésus s’est présenté lui-même comme le Chemin (Jn 14, 6) :
« Toi qui as fait un si long déplacement d’auprès du Père pour venir planter ta tente parmi nous ; Toi qui es né au hasard d’un voyage, et as couru toutes les routes, … fais, Seigneur, que je marche, que je monte,par les sommets vers Toi, avec toute ma vie, avec tous mes frères, avec toute la création, dans l’audace et l’adoration. »  (extraits de la prière du pèlerin de la montagne, rédigée par Gratien Volluz, guide de montagne et chanoine du monastère Grand-Saint-Bernard).
Armelle Pinon, laïque en mission ecclésiale, membre de l’équipe rectorale de Saint-Bonaventure