Homélie du père James Cunningham
Église Saint-Eustache, 21 juin 2020
Église Saint-Eustache, 21 juin 2020
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« Depraved indifference. » Indifférence dépravée.
Terme juridique américain rencontré, pour ma part pour la première fois, il y a un peu moins d’un mois, lors de l’annonce des charges initiales retenues contre le policier qui pendant huit minutes et quarante-huit secondes, s’est agenouillé sur le cou d’un jeune père afro-américain de Minneapolis, entraînant l’asphyxie et enfin la mort de ce dernier.
Selon la définition officielle en cours, elle décrit une conduite si dépourvue de sens moral quant au souci de l’autre, manquant toute considération pour la vie d’autrui, si blâmable, qu’elle mérite la même responsabilité pénale que celle que la loi impose àune personne qui a commis un crime intentionnellement.
Depuis, l’inculpation s’est transformée en homicide volontaire. Mais au-delàde cette affaire, je me suis demandé, sans doute mal inspiré, si cette indifférence dépravée ne qualifiait pas un phénomène de notre époque plus profond et plus général, analogue àce que Hannah Arendt appelait en son temps la banalité du mal :
– Indifférence, bien sûr, devant l’extinction massive de milliers d’espèces depuis un siècle, directement liée àl’activité humaine, un rapport des Nations Unies parlant de l’extinction imminente d’un quart des espèces sur Terre, vouée àsurvenir dans les prochaines décennies pour la plupart d’entre elles.
– Indifférence devant le spectacle récurrent des guerres, des famines, des pauvretés, injustices, inégalités, discriminations, ségrégations, exploitations, oppressions… toutes choses auxquelles nous sommes trop souvent habitués, pour ne pas dire complices, par notre participation àl’ordre économique, social et politique dominant, motivée tout simplement le plus souvent par notre recherche de confort ou de réussite matérielle et sociale, au dépends du bien commun de notre commune humanité ou de celui de l’ensemble de la Création.
Et voilàqu’après avoir eu très peur, assez pour que 4 milliards d’entre nous se soient enfermés pendant plusieurs mois, nous voilàde retour àla normale, tout au moins àsa recherche, le plus souvent par intérêt, oubli, déni ou indifférence. Indifférence qui est tout le contraire du Dieu que nous confessons, qui soutient le persécuté pour la justice dans nos lectures d’aujourd’hui, celle ou celui qui est insulté en son nom ; qui après le Déluge, promet àNoé de ne plus faire subir àla Création une telle destruction, laissant ce triste privilège àl’homme lui-même.
Ce Dieu qui entend les cris de son peuple et lui envoie un libérateur, Moïse, qui envoie des prophètes pour réveiller le peuple de son indifférence, de sa surdité, face aux cris de la veuve et de l’orphelin et enfin, envoie son Fils, qui vivra dans sa chair l’expérience du persécuté, du torturé, de la mise àmort parmi les plus infamante, jusqu’àexpérimenter le sentiment de l’abandon de l’homme par Dieu, exprimé dans l’ultime cri sur la Croix, rejoignant ainsi les cris de tant d’hommes et de femmes avant et après lui.
C’est ce Dieu qui, selon l’expression de Jean Paul II, nous invite à« l’option ou l’amour préférentiel pour les pauvres, » qui fait du petit, du pauvre, de l’étranger, du prisonnier, du malade, la priorité, qui veut que nous fassions ànotre tour une différence, aussi modeste soit-elle.
Enfin, rappelons que la crucifixion entraînait avant tout la mort par asphyxie, comme celui d’un genou sur un cou pendant 8 minutes et 48 secondes.
Alors, serons-nous les disciples du Dieu de l’indifférence dépravée, ou de celui qui, sur la croix, rejoint la supplication de George Floyd ?
« Please, I can’t breath, sir. »
« S’il vous plait, je ne peux pas respirer, monsieur. »
James Cunningham, prêtre de l’Oratoire.
Vicaire àl’église Saint-Eustache.