Créée en mars 2021, la BIBEF (bibliothèque et archives de l’Ecole française de spiritualité), association loi 1901, est le fruit de plusieurs années de collaboration afin de réunir les bibliothèques des congrégations de la Mission (Lazaristes), de Jésus et Marie (Eudistes) et de l’Oratoire de France (Oratoriens), formant l’Ecole française de spiritualité. Aujourd’hui, ce fonds remarquable de 30 000 exemplaires s’ouvre au public. Christophe Langlois, conservateur de bibliothèque, revient sur ce projet dont il s’occupe depuis 2016.
Pouvez-vous nous rappeler la genèse du projet ?
Christophe Langlois : En 2012, j’ai été contacté par le père orthodoxe Serge Sollogoub, qui était l’archiviste de l’Oratoire et qui est l’actuel archiviste de l’Institut Catholique de Paris. La bibliothèque du collège de Juilly était fermée aux lecteurs depuis près de 30 ans, mais s’y trouvait un fonds intellectuellement très précieux, celui du père Louis Cognet, ami de l’écrivain Julien Green et doyen d’une des facultés de l’Institut catholique de Paris, composé de quelques centaines d’ouvrages portant principalement sur Port-Royal et le jansénisme. Il s’agissait de le mettre àl’abri et de lui trouver une nouvelle vocation. C’est aujourd’hui chose faite, car il est parti en dépôt àla bibliothèque de Fels (bibliothèque universitaire de l’ICP qui compte environ 600 000 volumes).
Mais le reste de la bibliothèque de Juilly posait vraiment aux Oratoriens la question de l’avenir de leurs fonds, question qui en réalité se pose àde nombreuses congrégations religieuses, dont les Lazaristes et les Eudistes. C’est ainsi qu’en 2016, les trois supérieurs des congrégations de l’École française de spiritualité n’ont eu aucun mal àse mettre d’accord pour créer la BIBEF. Les Lazaristes menaient déjàdes travaux d’agrandissement de leurs archives sur leur site du 95 rue de Sèvres. Ces aménagements ont été en partie mis àla disposition des Eudistes, qui ont d’abord déménagé leurs fonds d’imprimés, ainsi que des Oratoriens qui ont commencé ày verser leurs archives. C’est ainsi que le site de la rue de Sèvres, avec une salle de lecture et des magasins aux normes, constitue aujourd’hui le lieu naturel de rassemblement de ces collections. Les Oratoriens ont dernièrement procédé au déménagement de leurs imprimés anciens, c’est-à-dire antérieurs à1811, ainsi qu’àcelui de 1500 manuscrits et thèses.
La pérennité du fonds est ainsi assurée. Les conditions de conservation et de sécurité sont excellentes, même s’il reste tout le travail de catalogage et de récolement (c’est-à-dire la vérification de l’intégrité des documents) àeffectuer afin de signaler ce fonds spécialisé aux chercheurs.
De quoi est constitué le fonds de la BIBEF ?
C.L : Le fonds porte sur les disciplines de la spiritualité, l’ecclésiologie, l’histoire, la philosophie, un grand nombre de biographies (notamment des pères lazaristes), les œuvres complètes de chacun des acteurs principaux des congrégations et des commentaires de ces œuvres. Pour chacune des œuvres complètes, nous cherchons àconstituer le corpus des éditions originales remarquables, c’est-à-dire des éditions avec des annotations ou des marques de propriété. C’est un fonds riche spirituellement et philosophiquement, qui va des influences du Carmel de Jean de la Croix et Thérèse d’Avila au début du 17e siècle, avec Bérulle mais aussi saint François de Salles, Vincent de Paul, Condren, Jean Eudes et toute la postérité jusqu’au 18e siècle. Puis pour le 19e siècle, le travail missionnaire des lazaristes, l’enseignement des oratoriens, y compris dans la formation des prêtres.
Les trois quarts des volumes ont été reconstitués au 19e siècle grâce àdes dons successifs de particuliers, car les bibliothèques des congrégations ont fait l’objet de saisies révolutionnaires lors de la Révolution française (la Bibliothèque Nationale a ainsi vu passer le nombre de ses imprimés de 60 000 à300 000). Ce sont alors des dizaines de milliers d’ouvrages qui ont été perdus, et ceux qui ont survécu sont souvent abîmés car les volumes ont été cachés, conservés dans des endroits peu salubres ou inappropriés àla conservation des livres, les pages de garde systématiquement arrachées pour masquer le nom du propriétaire, etc.
A qui est destiné ce fonds ?
C.L : Les trois congrégations ont mené ce projet pour leur mémoire. Mais une mémoire vivante ! Car la BIBEF sera ouverte aux prêtres en formation et aux chercheurs, àla demande, pour le moment. Une première lectrice a déjàété accueillie, doctorante en épistémologie et philosophie àla Sorbonne, qui travaille sur le rapport des pères oratoriens àla science. Sa thèse, dirigée par M. Vincent Carraud, est intitulée Former une logique par provision ? Le « Commentaire ou remarques sur la méthode de René Descartes » par Nicolas-Joseph Poisson (1670).
Beaucoup de projets de réunification de bibliothèques religieuses sont-ils en cours ?
C.L : La réalité des bibliothèques d’obédience catholique dans notre pays est très hétérogène. Il est certain qu’un certain nombre d’entre elles sont en déshérence. C’est le cas de certaines bibliothèques paroissiales, diocésaines, monastiques ou de congrégations religieuses, dont les locaux ne sont pas aux normes et sur lesquelles ne veillent pas assez de personnes correctement formées. Les bonnes volontés n’y suffisent pas, il faudrait un plan d’ensemble pour anticiper la fermeture de certaines bibliothèques et rassembler les collections précieuses. Tout vaut mieux que d’agir dans l’urgence. C’est pourquoi la BIBEF est un cas assez unique de regroupement de fonds dans un souci de mémoire et d’ouverture au public, avec un projet mené conjointement et dans un temps long.
Les bibliothèques chrétiennes de France constituent le second réseau de bibliothèques en France après les bibliothèques municipales, avec plus de deux cents bibliothèques. Pour autant, elles sont indépendantes les unes des autres. Le rêve serait bien sûr d’établir un catalogue unique. Mon idée était qu’un tel projet puisse être chapeauté par la Conférence des évêques de France pour le catalogue, et par les DRAC pour les problèmes de conservation préventive, car elles peuvent débloquer des budgets pour ce type de projets. Dans certains diocèses, comme àNice, les bibliothèques diocésaines sont en lien permanent avec leur DRAC ainsi qu’avec les bibliothèques municipales.
Nous pourrions aussi nous inspirer de ce qui est fait dans d’autres pays. Aux Pays-Bas, par exemple, un projet conjoint a été mené afin de préserver les bibliothèques religieuses du pays menacées de fermeture en les réunissant en un même lieu. Cela suppose une politique, un espace, des années de classement et de catalogage, mais dans le but de conserver un patrimoine vivant.
Site web: https://www.bibef.org/
Christophe Langlois est conservateur de bibliothèque, directeur adjoint de la bibliothèque littéraire Jacques Doucet depuis 2016. Ancien élève de Saint-Martin-de-France, il a été conservateur àla BNF, service philosophie et religion de 2002 à2011, puis directeur des bibliothèques de l’ICP de 2011 à2016.
Contact : bibefparis@gmail.com