Homélie du 3ème dimanche de l’Avent pour le journal La Croix (13 décembre 2015)
Ce troisième dimanche de l’Avent est traditionnellement appelé « le dimanche de la joie » en raison de la reprise de la lettre aux Philippiens par la prière d’ouverture de la messe : dans l’espérance de Noël, « soyez toujours dans la joie du Seigneur (…) ! Que votre bienveillance soit connue de tous les hommes. Le Seigneur est proche. Ne soyez inquiets de rien, mais en toutes circonstances, priez et suppliez, tout en rendant grâce, (…) et la paix de Dieu, qui dépasse tout ce qu’on peut concevoir, gardera vos cœurs et vos pensées dans le Christ Jésus ».
Le « dimanche de la joie » est donc bienvenu cette année où nous vivons le temps de l’Avent dans un contexte qui suscite inquiétudes et peurs. Sommes-nous appelés àgarder la joie malgré tout ? Peut-être…, mais pas n’importe comment. Sans doute pas la joie par devoir, joie feinte ou de façade manifestée àforce de volonté.
La joie dont parle Saint Paul est d’un autre ordre. Plutôt que le résultat de la seule volonté, même habitée par la foi, elle est d’abord le fruit de l’Esprit (Cf. Ga 5, 22). Chez Saint Paul, l’idée de « garder la joie malgré tout » oblige àun déplacement qui ouvre de nouvelles perspectives, en particulier au cœur de la nuit ou des épreuves. Comme chez Philippe Néri, « le saint de la joie » en raison de l’humour et des facéties avec lesquelles il invitait chacun àla conversion évangélique, la joie résulte de nuits de veille et d’adoration dans la solitude des catacombes romaines. Le livre de Sophonie (3, 14-18) l’indique : la joie est d’abord la joie de Dieu.
Elle relève de l’enthousiasme au sens où elle est inspirée par Dieu. Comme telle, elle habite « Jérusalem », elle habite le peuple de Dieu. Pour être accueillie, ressentie et exprimée par ses membres, la joie de Dieu est d’abord le fruit d’un travail àréaliser en soi, une conversion àopérer, préalable nécessaire àl’expression de « la joie malgré tout ». Cette joie de Dieu peut alors être accueillie au cœur de la nuit et de l’obscurité. Certes, la nuit des catacombes pendant laquelle Philippe a cultivé et fait grandir sa relation au Christ. Mais aussi la nuit de l’esprit ou la nuit de la foi, propice au travail de conversion du cœur de l’homme àla paix de Dieu.
En effet, cette joie est fille de la foi en Christ. Elle grandit chez qui laisse le Ressuscité habiter ce qu’il vit, sa fidélité et ses infidélités, sa confiance et ses peurs, ses convictions et ses doutes, ses rires et ses larmes. Par temps calme ou par gros temps, accueillir la joie de Dieu, c’est laisser le Ressuscité habiter ses sentiments et ses convictions, ses raideurs et ses attentes, ses satisfactions et ses frustrations, pour les exposer au travail de l’Esprit. Dans cette dynamique, accueillir la joie de Dieu au cœur des épreuves ou de la nuit est possible, sans que les épreuves ou la nuit ne se présentent automatiquement comme des obstacles àl’expérience de la joie. Au contraire, àla lumière de la vie de Jésus de Nazareth, les aspérités de l’expérience humaine sont l’occasion de contempler comment « Dieu est àl’œuvre en cet âge » pour se découvrir, avec enthousiasme, celui en qui Dieu met toute sa confiance et tout son amour.
L’Esprit agit en l’homme car Dieu a confiance en lui. En Jésus, depuis la « sortie du Verbe » jusqu’au cœur de la nuit du Golgotha et àla Vie Nouvelle qui surgit dans la nuit de Pâques, la joie de Dieu est fruit de l’action de l’Esprit qui le fait sortir, le fait cheminer, le fait entrer en dialogue, en incarnant la profondeur de la miséricorde de Dieu. L’espérance en est renouvelée : les aspérités de l’expérience humaine sont envisagées àla lumière d’un nouvel horizon, un horizon àla mesure de la confiance que Dieu met en l’homme, alors capable de la joie de Dieu, s’il le veut.
En ce temps de l’Avent, àchacun de l’attendre, de lui ouvrir la porte et de l’accueillir comme le veilleur de la joie de Dieu qui habite en tout homme, d’abord chez ceux qui ont besoin d’un relais pour laisser le veilleur réveiller leur espérance. Pour que le Dieu de l’Espérance nous remplisse de toute joie, Viens Seigneur Jésus !
François Picart, prêtre de l’Oratoire