Année de la Miséricorde
Depuis le 13 décembre, vous pouvez remarquer dans le sanctuaire Saint-Bonaventure àLyon, une réalisation peu commune : la Porte sainte de la Miséricorde. Cyril Raymond en est le concepteur réalisateur.
Comment vous présenter ? Peut-être en évoquant votre formation?
J’ai eu une formation mixte, d’abord au Conservatoire de Lyon en piano puis une formation en Arts Appliqués. Sans doute l’influence d’un père instrumentiste et chef d’orchestre… Mais c’est ma mère qui m’inscrit très jeune àdes cours de dessin. À 23 ans, je me lance dans l’entreprenariat avec ma première société : un studio de création graphique et sonore, réunissant ainsi mes deux compétences.
Aujourd’hui directeur artistique du studio de création et d’ingénierie multimédia et expérientielle Meden Agan que j’ai créé en 2005, je partage mon temps entre commandes et projets artistiques.
« Meden agan » est la traduction grecque de la locution latine « Ne quid nimis » qui veut dire « rien de trop », que l’on peut comprendre aussi comme « goûter àtout mais sans excès ». C’est « la recherche de l’équilibre » et je tente d’appliquer cette philosophie dans mes créations, mais aussi dans mes relations aux autres. Même si cela peut être un combat quotidien, je souhaite avancer sans àpriori tant dans les domaines, personnels que professionnels.
C’est tout naturellement que je me suis intéressé aux événements de type hackathon [Un hackathon est un événement au cours duquel des développeurs se réunissent pour faire de la programmation informatique collaborative, sur plusieurs jours. Le terme est un mot-valise constitué de hack et marathon, NDLR] , tels que Museomix ou Hack My Church qui sont basés sur la rencontre et le travail collaboratif.
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est un Hackathon ?
La traduction la plus proche serait « marathon créatif » : « Créatif » car durant 3 jours des professionnels d’horizons très divers (Artistes, codeurs, makers, communicants, historiens, théologiens…) se réunissent en équipe pour imaginer, concevoir et réaliser des prototypes mêlant art, technologie et médiation en lien avec le lieu et le thème de l’hackathon.
Il y a un an, j’ai eu l’opportunité de participer àMuséomix au Musée archéologique d’Arles. Cet hackathon réunissait sur un week-end 6 ou 7 musées dans plusieurs pays dans le monde ainsi qu’une centaine de participants par musée. À l’issue de ces 3 jours, des visiteurs sont invités àexpérimenter les prototypes réalisés par les équipes présentes. C’est un événement qui a changé ma façon d’aborder mes propres projets. Même si dans la musique ou dans le cinéma nous sommes toujours en mode « équipe projet », j’ai découvert un nouveau type de collaboration encore plus poussé et pour moi plus efficace et épanouissant. Et cet événement a permis des rencontres extraordinaires qui aujourd’hui constituent le noyau d’un collectif qui se retrouve naturellement sur les grandes réalisations telles que « Light My Prayer » ou « La porte de la Miséricorde ».
La tâche de la porte était difficile : monter un mur de 7 mètres de haut, réaliser sur la face sombre, des aspérités constituées de 49 blocs, fabriquer une croix de lumière de 2m60 d’envergure et poser une fresque imprimée de 24 affiches.
En effet c’est lors de cet événement àArles que j’ai eu la chance de rencontrer Pierre-Gilles Levallois codeur/makeur, Sébastien Albert artiste/codeur/makeur ainsi que Damien Jorrand designer et menuisier de talent. Le cumul de ces compétences, enrichi des qualités humaines qui les caractérisent en fait pour moi un collectif insubmersible. C’est une espèce d’organisme vivant, doté de plusieurs cerveaux, membres, une vision commune en même temps composée de multiples points de vue. Même s’il faut une direction pour atteindre un but précis, on est toujours en mouvement, dans l’échange constant. Telle une formation de jazz, la grille harmonique est définie par le morceau et les instrumentistes jouent leur partie. Pour autant, chacun s’exprime avec sa personnalité et s’épanouit au côté de l’autre, réalisant une oeuvre commune qui, je l’espère, touchera intimement les visiteurs !
La tâche de la porte était difficile : monter un mur de 7 mètres de haut, réaliser sur la face sombre, des aspérités constituées de 49 blocs, fabriquer une croix de lumière de 2m60 d’envergure et poser une fresque imprimée de 24 affiches. Il nous a fallu nous entourer des meilleurs c’est pourquoi, nous avons invité nos amies et néanmoins talentueuses Arlésiennes : Eve et Soriana de « En Goguette » qui maîtrisent parfaitement l’art du carton et sans qui cette oeuvre n’aurait pas été àla hauteur de mes espérances. De même, nous avons sollicité le collectif WSK (pour la charpente et montage du mur) réservant généralement cette expertise àleurs propres créations, Charly Frénéa (Chef décorateur pour le montage de la fresque), la société Erm (pour la réalisation de la croix), la société Proximag (impression fresque) ainsi que la société Kiloutou de Bron (pour l’échafaudage).
Ce projet a aussi pu aboutir grâce au soutien de l’équipe convivialité de Saint Bonaventure que je remercie au nom de tous les participants ! À noter que depuis notre entrée dans le sanctuaire de Saint Bonaventure, j’ai voulu orner notre entreprise de cette phrase de saint François d’Assise, afin de nous donner force et persévérance pour accomplir notre mission : « Commence par faire le nécessaire, puis fais ce qu’il est possible de faire et tu réaliseras l’impossible sans t’en apercevoir. »
Il semble que nous ayons bénéficié de sa bienveillance et que ce point de vue soit bien àpropos dans chacune de nos actions au quotidien.
Le recteur, le père Antoine Adam vous a demandé de réaliser la « porte de la Miséricorde» pour Saint-Bonaventure. Comment avez-vous vécu cette expérience ?
J’ai été extrêmement honoré de la confiance qu’on m’a faite et en même temps, je ne pouvais pas mesurer l’importance qu’aurait cette réalisation pour les personnes qui passeraient « LA » porte.
Issu du monde de la publicité j’avoue aborder aujourd’hui la suite de ma carrière professionnelle tel un repenti. Souvent utilisé, le créatif est asservi pour traduire un message qui se veut sincère mais dont l’objectif est toujours le même : vendre. Utilisé comme outil de persuasion massive au profit d’une marque ou d’un produit, c’est toujours le marketing qui l’emporte sur l’art et la vérité. Nous devenons alors tous des « cibles » àatteindre.
Pour « Light My Prayer » comme pour « La Porte de la Miséricorde », on est dans un contexte où l’autre a de l’importance, par la vérité de son engagement, de sa foi. Où sa démarche doit être respectée.
Pour le scénographe que je suis, cette installation est tellement chargée de sens que nous sommes au paroxysme de la commande. Rien ne peut être laissé au hasard. C’est pourquoi durant ces dernières semaines, j’ai beaucoup étudié et redécouvert le sens iconographique des signes, des illustrations et des symboles dans l’histoire judéo-chrétienne. Grâce aux nombreux échanges avec le père Adam qui m’a régulièrement éclairé sur l’importance de certains choix, mais aussi au côté d’Yves-Armel Martin qui nous a apporté son expertise dans ce domaine, j’ai pu retranscrire mon interprétation de la porte notamment sur la face intérieure de l’installation en réalisant la fresque de « la création du monde ».
Récemment (…) je suis passé près de « la porte ». Là, une femme se tenait àgenoux, priant face àla croix de la Miséricorde que nous avons réalisée. Comment anticiper une telle vision ? Cette brève expérience m’a profondément ému et illustre tout le poids de la responsabilité, l’humilité et le respect qu’un artiste se doit d’avoir dans ses propositions, lorsqu’il s’engage dans un tel projet.
La porte de la Miséricorde a donc été conçue en plusieurs parties distinctes. Sans vouloir imposer ma lecture de l’oeuvre, car c’est au visiteur de se l’approprier et de vivre sa propre expérience, voici ce que je peux dévoiler sur ma démarche et qui ne serait pas évident àdécrypter d’un premier abord.
En arrivant devant la porte, face ànous, un amoncellement de formes sombres et anguleuses envahissent une arcade de l’église habituellement ouverte. La géométrie de chacune de ses formes est définie par des données existantes sur terre : abattage d’espèces en voie de disparition, fonte des glaces, nombre d’enfants victimes de mal nutrition dans le monde… Cette immensité de données, matérialisées par ces formes, nous permet une réflexion sur le monde dans lequel nous vivons et celui que nous allons léguer ànos enfants.
Pourtant une ouverture au pied de cet édifice menaçant, baignée de lumière, nous permet de franchir ce chaos. Cette porte nous donne l’opportunité de vivre corporellement, l’expérience du passage, du franchissement. L’engagement spirituel prend alors une dimension physique. Il s’agit bien d’un chemin. La croix de Saint Damien de l’autre côté nous accueille. Le fait de se mouvoir dans l’oeuvre, et de retourner tout notre corps pour découvrir un Christ (àtaille humaine) accueillant, serein, au pied d’une fresque évoquant la création du monde, nous fait prendre conscience de l’importance de ce qui se joue dans cet engagement et la joie que cela procure.
Cette phrase de Mère Teresa que j’aime beaucoup illustre assez bien cette démarche : « Ne laisse personne venir àtoi et repartir sans être plus heureux. »
Pour ma part, j’ai, grâce àces deux projets, vécu des moments inoubliables. Et plus récemment, en me rendant àvotre interview, je suis passé près de « la porte ». Là, une femme se tenait àgenoux, priant face àla croix de la Miséricorde que nous avons réalisée. Comment anticiper une telle vision ? Cette brève expérience m’a profondément ému et illustre tout le poids de la responsabilité, l’humilité et le respect qu’un artiste se doit d’avoir dans ses propositions, lorsqu’il s’engage dans un tel projet.
J’avoue être souvent àme demander comment, comment puis-je faire le bien autour de moi? En effet, je ne suis ni médecin, ni pompier, un peu enseignant parfois, mais dans une discipline liée àmon domaine de compétence. Alors, que puis-je apporter àmes semblables, avec ce que je sais faire ?
Le fait de réunir des personnalités aussi talentueuses dans des projets aussi forts de sens, aussi ambitieux soient-ils m’autorise àpenser que je suis dans la bonne voie. Je suis donc persuadé que chacun a le pouvoir, avec le don qu’on lui a permis de cultiver, de faire mieux qu’hier, àson niveau. Et cette phrase de Mère Teresa que j’aime beaucoup illustre assez bien cette démarche : « Ne laisse personne venir àtoi et repartir sans être plus heureux. »
Interview de Françoise Zehnacker.