Avec la célébration du Baptême se clôt la période liturgique dite « temps de Noël » ou, si l’on veut, «temps  de l’épiphanie », c’est àdire de la manifestation. L’épisode du baptême est làpour signifier, au seuil du ministère public de Jésus, l’intention qui va présider àtoute son action. Mais, il faut en convenir, c’est un bien singulier épisode !
Que fait donc Jésus dans la cohorte des pécheurs qui vont vers le Baptiste pour recevoir son baptême ? Puisqu’il s’agit d’un « baptême de conversion pour la rémission des péchés », on ne voit pas bien en quoi il peut concerner Jésus qui s’est fait « semblable ànous en toutes choses, excepté le péché » précisément. Mais justement, làest l’intention de Jésus : faire sienne sans restriction notre condition avec toute sa fragilité. Accepter même de livrer son innocence au risque mortel de l’arbitraire des puissants de ce monde (religieux, politiques) et au risque, non moins grand, des dispositions plus ou moins stables des foules.
Pour dire cette solidarité du Seigneur avec la pauvreté de notre condition, c’est saint Paul qui a les formules les plus osées : « Celui qui était sans péché, Dieu l’a fait péché pour nous, afin qu’en lui nous devenions justice de Dieu » (2 Cor 5, 21). Ainsi se révèle la miséricorde de Dieu : non pas une bienveillance de loin, de haut, peut-être condescendante. Une miséricorde sans compromission… Tout au contraire : en Jésus, il faut bien reconnaître que la toute sainteté de Dieu se commet ou se compromet avec notre finitude, notre non-sainteté.
Et voilàqui  n’est pas si facile àaccepter… En Jésus, ce qui se donne àconnaître c’est plutôt une miséricorde divine de plain-pied avec l’humain tel qu’il est. Et cette miséricorde ne se donne de loi que celle du don et le pardon (c’est àdire du don continué).
Mais attention ! Il y a plus : lorsque la tradition rappelle que Jésus s’est fait semblable ànous « en toute chose, excepté le péché », elle ne dit nullement qu’il se serait gardé du pire de nous-mêmes ! Elle rappelle au contraire cette vérité essentielle et libérante que le péché ne fait pas partie de notre définition. Certes, les pesanteurs et les faux plis de notre nature souvent gauchissent nos choix et nos actions, elles induisent des complicités avec des forces malheureuses ou néfastes, elles brident notre capacité àfaire le bien. C’est si vrai, qu’on se ferait parfois l’impression de n’être capables que de demi-réussites un peu àtous les étages de notre vie… Et pourtant non !
Comme disait un grand moine (Dom André Louf) « la grâce peut (toujours) davantage ». A chacun, chacune, donc de vivre cette année de la miséricorde et d’accueillir la grâce du Christ en luttant contre le péché avec les armes du bien. Autrement dit, en faisant droit au meilleur de nous mêmes.
Gilles-Hervé Masson, dominicain, vicaire à Saint-Eustache