L’Oratoire de France
Une interview de Gilbert Caffin, réalisée le 29 octobre 2012
[Retrouvez en pdf  L’Oratoire de France par le Père Caffin]
Que diriez-vous de l’Oratoire àdes personnes qui ne le connaissent pas ?
Notre Oratoire est peu connu, même si on entend régulièrement prononcer le nom d’Oratoire ! En effet, en France il y a maintenant des fondations d’oratoires selon celui de Saint Philippe Néri àRome ; ce sont des communautés indépendantes les unes des autres qui vivent dans une ville au service d’un diocèse.
L’Oratoire de France, dont nous fêtons le 400ième anniversaire fut fondé au XVII ème siècle par Pierre de Bérulle s’inspirant de l’oratoire italien mais àla manière française, c’est-à-dire un ensemble de prêtres séculiers formant une congrégation nationale,
A l’origine il y eut dans la volonté de réconciliation des français après les terribles guerres de religions, un désir profond d’Henri IV, de Madame Acarie, de saint François de Salles et de beaucoup d’autres personnes, de voir des prêtres se consacrer àredonner du courage àun clergé àla dérive. C’est ainsi que la jeune congrégation s’est mise au travail pour tenter de redonner un esprit aux prêtres des paroisses, coopérer àla paix et au renouveau chrétien dans ce XVIIème siècle français.
Aujourd’hui, quels services l’Oratoire peut-il rendre àl’Eglise?
L’Oratoire fut  au XVII siècle une des forces spirituelles du renouveau chrétien, il eut un rôle important au niveau de la culture et de la société de l’époque, particulièrement par ces collèges qui furent fondés àla demande du roi..
A l’heure actuelle, cette toute petite congrégation qui a peu de membres et peu de moyens ne peut pas prétendre rendre un service capital àl’Eglise, cependant le petit groupe que nous sommes peut vivre avec plus d’intensité son inspiration d’origine pour que làoù sont les oratoriens, un certain type d’esprit se mette au service des personnes qu’ils rencontrent et avec lesquelles ils vivent.
De quel  type d’esprit s’agit-il ?
C’est justement ce qu’il faut définir ; àl’intérieur de l’Eglise, il y a bien des manières de vivre l’Evangile. Pour nous et dans la tradition qui nous est venue de nos Pères, c’est un esprit de liberté et d’ouverture aux évolutions de la société, esprit de liberté qui s’est déjàimposé avec Philippe Néri durant la Renaissance italienne àRome. Il s’agit d’être attentif aux besoins des hommes, sans être gêné par les coutumes, les habitudes,  le poids d’un passé ; d’où la nécessité d’une certaine légèreté institutionnelle pour improviser, innover. Cette sympathie avec le monde nous a été transmise pour que l’Oratoire se sente àl’aise pour rendre plus actuel le message de l’Evangile, tout en gardant l’inspiration fondatrice de mettre Jésus Dieu fait homme pour tous au cœur de nos vies : « l’Incarnation ».
Ainsi les quelques petits groupes d’oratoriens que nous sommes peuvent toujours être témoins de cet état d’esprit.
Pensez-vous que l’Oratoire puisse intéresser un jeune d’aujourd’hui ?
Comme àchaque époque de la vie de l’Eglise, nous sommes face àdes manières très différentes de concevoir le témoignage chrétien dans notre société et bien des possibilités s’offrent aux jeunes qui voudraient donner leur vie au service de l’Eglise. Ils peuvent devenir prêtres séculiers au service du diocèse, entrer dans une des nombreuses congrégations et  ordres religieux tels que les jésuites, les franciscains, les dominicains ou dans une des communautés nouvelles qui tentent d’autres façons de faire corps.
Notre tradition est un mélange de beaucoup de choses, des prêtres séculiers qui ne sont pas des religieux mais qui veulent avoir une spiritualité forte, comme disait Bérulle « des religieux de Jésus Christ ».
Alors des jeunes pourraient nous rejoindre pour avoir ce sentiment d’entrer dans une tradition de spiritualité qui les nourrisse, associée àune grande liberté d’allure pour inventer une manière d’être en notre temps.
Cette double exigence peut attirer un certain nombre d’hommes qui cherchent leur voie pour témoigner de l’évangile dans le monde actuel.
Quelle est la place des laïcs ?
La question peut être effectivement posée, cette spiritualité dont on parle est-elle réservée aux prêtres, est-ce une spiritualité sacerdotale ou les laïcs n’y trouveraient pas  leur place ?
La redécouverte de la pensée de Bérulle, la relecture attentive grâce à la réédition de ses Å“uvres nous éclaire, il s’agit d’une spiritualité baptismale, c’est-à-dire pour tous les chrétiens dans laquelle la présence du Christ, le « Verbe incarné » est centrale. Cette venue de Dieu parmi les hommes nous évite de le chercher dans le ciel mais elle nous invite àle chercher au cÅ“ur de l’homme et dans son humanité ; les laïcs sont donc concernés au premier chef.
De quels moyens disposons-nous pour mieux connaître l’Oratoire ?
Les moyens, c’est d’abord de fréquenter les oratoriens ; j’espère qu’ils seront suffisamment imprégnés de cet esprit pour donner, par leur manière d’être, par leur engagement personnel, malgré leur fragilité et leurs limites un témoignage  qui s’apparente àcette tradition.
Vivre ensemble, c’est ce que la communion oratorienne avait tenté de réaliser autour des communautés oratoriennes et cela continue d’ailleurs mais il y a sans doute beaucoup d’autres laïcs intéressés pour connaître ce type d’esprit. Au-delàdu témoignage des oratoriens toujours limité aux personnes, il me semble important de revenir aux sources.
Il y a l’excellent ouvrage du père Boureau, figure de l’Oratoire du XX° siècle qui a écrit un livre pertinent, qui aide àcomprendre ce qu’est l’Oratoire : « l’Oratoire en France » de René Boureau, éditions du CERF. C’est une première approche de cette famille spirituelle. Ensuite il existe toute une série de petits livres pour accéder àla pensée de Bérulle et qui sont plus faciles que les œuvres complètes en 13 volumes ; pour n’en citer que quelques-uns, « La petite vie de Bérulle » , ou « Elévation àSainte Madeleine » œuvre très abordable qui manifeste bien l’esprit que Bérulle voulait donner aux oratoriens, centré àla fois sur un grand amour de Jésus, comme Marie-Madeleine l’a témoigné en  une vie intérieure intense et par cet engagement au monde que Bérulle ne cessa d’influencer àsa manière la politique de son temps.
La prière oratorienne est d’abord l’oraison, le silence devant Dieu, ce qui explique une certaine réserve, une vie intérieure un peu secrète, on n’est pas forcément porté àrejoindre des manifestations extérieures effervescentes.  Pour les laïcs, il est important de connaître ce chemin de vie de prière fondée sur le silence et l’oraison, source inépuisable pour l’action.
Il y a plusieurs années, vous avez choisi l’Oratoire, pourquoi ? Le choisiriez-vous encore aujourd’hui ?
Voilà50 ans que je suis devenu prêtre, 60 ans que je suis entré dans cette tradition en faisant mon noviciat. C’est au contact des prêtres que j’ai connus, c’est en mesurant tout ce qu’ils m’avaient apporté au cours de mon enfance et de mon adolescence dans les collèges oratoriens que j’ai été tenté de les rejoindre. C’est une vocation par sympathie et par désir de continuer ce type de présence en tant que prêtre parmi les hommes.
Aujourd’hui, il me paraît plus que jamais important de vivre cet esprit, je le choisirais encore avec toute l’expérience accumulée d’une vie. Pour moi, ce fut surtout dans la tradition éducative de l’Oratoire que je me suis trouvé àvivre cet esprit, ce fut une source permanente de renouveau pour suivre les évolutions de l’Eglise, et on peut dire que depuis 60 ans nous avons suivi bien des mouvements, ne serait-ce que le Concile dont nous fêtons les 50 ans cette année. J’espère que c’est dans la dynamique de ce Concile de réconciliation avec le monde que l’Eglise continuera et qu’elle ne retournera pas en arrière. L’Oratoire se sent porté par le renouveau impulsé par le Concile, j’espère que nous continuerons àavoir assez de force pour continuer dans cette voie, je me sens, comme oratorien prêt àservir une Eglise tournée vers l’avenir, et non pas une Eglise pesante, lourde d’un passé qui l’empêche de comprendre les évolutions du monde. C’est sans doute dans cet enjeu important de l’Eglise que la vocation oratorienne a une place, même si elle est modeste.
Et maintenant ?
Nous avons pris la décision de concentrer notre témoignage sur trois lieux : Paris – Lyon – Marseille, lieux où quelques oratoriens regroupés pourront ensemble témoigner de cet état d’esprit dont nous avons parlé.
Il semble que, grâce àun long travail depuis 1922 àSaint-Eustache àParis, un certain type de service d’Eglise dans une ville se soit révélé , n’est-ce pas àtenter dans d’autres conditions, et d’une autre façon, quelque chose d’analogue pourrait se vivre à Lyon, àSaint-Bonaventure dans la Presqu’Ile ou àSaint-Ferréol , sur le vieux port de Marseille.
Ce projet peut dynamiser les forces vives de la Congrégation, de façon àce que nous puissions continuer àporter le modeste témoignage d’une présence spirituelle alliée àune grande liberté intérieure pour saisir les attentes des hommes de ce temps, dans l’accomplissement continuée de l’Incarnation de Dieu au monde.
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Gilbert Caffin (+ 2013) a été éducateur pendant 18 ans dans les établissements de l’Oratoire et fut ensuite formateurs d’enseignants pour les écoles catholiques d’Alsace. Il a fondé le Centre européen de formation ouverte et polyvalente (CEFOP) qu’il a dirigé pendant 10 ans pour des jeunes en échec scolaire et a été représentant permanent de l’Office international de l’enseignement catholique (OIEC) au Conseil de l’Europe àStrasbourge pendant 25 ans.