En ce temps-là, Jésus disait àses disciples : « Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel devient fade, comment lui rendre de la saveur ? Il ne vaut plus rien : on le jette dehors et il est piétiné par les gens. Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée. Et l’on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau ; on la met sur le lampadaire, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. De même, que votre lumière brille devant les hommes : alors, voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire àvotre Père qui est aux cieux. »
Méditation
Dans son discours sur la montagne, St Matthieu a placé ces deux paroles adressées àses disciples : vous êtes « sel de la terre » et « lumière du monde ». Nous connaissons l’usage du sel pour conserver les aliments. Nous expérimentons le sel comme une substance qui adoucit l’acidité (d’une orange) ou qui donne de la saveur aux aliments. Si l’action du sel est de révéler la saveur d’autre chose, un détour par la métaphore de la lumière nous aidera àchercher comment être « sel de la terre » et « lumière du monde ».
Il est aujourd’hui fréquent d’associer cette lumière àdes « valeurs ». Nous l’entendons lors des demandes de baptême, de mariage religieux, ou, plus rarement, lors des inscriptions dans un établissement catholique d’enseignement. Quelle est cette « communauté de valeurs » auxquelles les chrétiens seraient sensés adhérer ? Quelles sont ces « valeurs » sensées expliciter leur mission dans la société ? L’éclatement des chrétiens présents au sein des différents courants d’idées contemporains, indique que la référence aux valeurs est insuffisante pour chercher où et comment la lumière du Christ brille pour l’humanité. Plus grave, le terme « valeur » est souvent un fourre-tout qui favorise l’imprécision quand ce n’est pas l’ambiguïté. Ainsi, dans le débat sur l’euthanasie, partisans et adversaires de cette pratique ont recours àla valeur de « dignité » humaine. Le même terme est investi selon des conceptions opposées. Loin de nous conduire àla lumière du Christ, les seules « valeurs » nous laissent dans le brouillard du flou, de l’imprécision, voire de l’idéologie.
Le rayon de soleil qui le dissipera est àchercher dans l’articulation des deux éléments composant cette phrase : « De même, que votre lumière brille aux yeux des hommes, pour qu’en voyant vos bonnes actions, ils rendent gloire àvotre Père qui est aux cieux. » La notion de « bonnes actions » nous renvoie au champ des valeurs, qui n’est donc pas àrejeter, loin s’en faut. En revanche, elles ne suffisent pas, sans l’éclairage qui vient du lien entre les « bonnes actions » et « la gloire de [n]otre Père ». Mais la vie de Jésus illustre la difficulté de relier les deux. En effet, Jésus était connu comme quelqu’un qui faisait le bien :
« Jésus de Nazareth, Dieu lui a donné l’onction d’Esprit Saint et de puissance. Làoù il passait, il faisait le bien et guérissait tous ceux qui étaient sous le pouvoir du diable, car Dieu était avec lui » (Ac 10, 38).
Or, il a été condamné àmort pour cela.
Car « faire le bien » àla manière de Jésus transgressait les systèmes de valeurs juifs et grecs : ce qui est sagesse aux yeux de Dieu est scandale pour les juifs et folie pour les grecs (Cf. 1 Co). Dans une approche chrétienne, Jésus est passé en faisant le bien de telle sorte que chacun des deux systèmes de valeurs a implosé, pour laisser la place àune Parole de vie en plénitude accessible àtous. En Jésus, ce n’est pas un système de valeurs particulier qui devient universel. En Jésus, la Parole de vie qu’il incarne dans sa miséricorde, est première. Elle démasque le mal qui opprime chacun pour l’en libérer, y compris lorsque des « valeurs » se révèlent trop rigides : les valeurs sont faites pour l’homme plus que l’homme pour les valeurs. En Jésus, faire le bien ne conduit pas ànourrir un appétit de reconnaissance ou d’appartenance particulière. Car il laisse àDieu seul le soin d’authentifier la manière dont il a fait le bien, comme le chemin d’accès àla vie en plénitude. À la résurrection, la gloire de Dieu a fait irruption dans l’histoire de l’humanité pour éclairer cette manière singulière de « faire le bien », grâce àlaquelle le « mur de la haine » entre deux systèmes de valeurs, le système juif et le système païen a été abattu (Cf. Éphésiens 2) au profit du nouveau Peuple de Dieu.
Telle la lune qui réfléchit la lumière du soleil, la mission des disciples de Jésus est d’être des reflets de la lumière du Christ, en incarnant ensemble cette capacité àfaire le bien que Jésus révèle présente en chaque être humain, avant tout système de valeurs. Où l’on retrouve la métaphore du sel dont l’action révèle la saveur d’autre chose : être « sel de la terre » consiste àrévéler la capacité des autres àfaire le bien àla manière de Jésus. Pour être « lumière du monde », soyons « sel de la terre » en étant vecteurs de la miséricorde, de sorte que toujours et partout, celles et ceux qui sont luttent contre l’expérience multiforme du mal, accèdent àune expérience toujours plus lumineuse. Ainsi gloire sera rendue àDieu.
François Picart, prêtre de l’Oratoire
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