Dix lépreux vivaient ensemble au confins de la Samarie et de la Galilée. Ils erraient loin des villes et des lieux habités, et ils hantaient les grottes perchées dans les hauteurs ou bien les canyons dissimulés par la végétation. Ils se déplaçaient comme des fantômes couverts de haillons, la tête voilée, agitant des crécelles. Dix hommes qui vivaient ensemble en marge de la société, mais qui reproduisaient entre eux la règle du pur et de l’impur qui les avait exclus de cette société : ils étaient tous lépreux, tous unis par la maladie, tous marginalisés, mais neuf d’entre eux étaient Juifs et le dixième, Samaritain. Ce dernier avait le triste avantage d’être mal considéré par les autres qui ne reconnaissaient pas sa religion comme légitime car pour les Juifs, les Samaritains étaient des hérétiques. […]

Les dix silhouettes fantomatiques eurent donc pour effet d’arrêter les pas de Jésus – toute misère avait ce pouvoir sur le Maître – mais surtout, ces silhouettes misérables eurent le pouvoir de faire vibrer son cÅ“ur. La vue de l’homme diminué, bafoué, répudié, déshumanisé, est un moyen sûr de briser le cÅ“ur de Dieu. Et voilà que ces êtres, – que l’on avait voulu effacer de l’humanité – , osaient parler, ils avaient encore une voix, une voix humaine, la voix qui en faisait des hommes. Et par elle, ils ne maudissaient pas Dieu à cause du malheur qui était le leur, non, ils Lui exprimaient leur foi, leur confiance : « Jésus, Maître, aie pitié de nous ! » […]

Ils étaient maintenant à portée de main du Maître duquel ils attendaient tout. La réponse de Jésus fut surprenante : « Allez vous montrer aux prêtres ! » Les dix hommes se regardèrent surpris. N’avaient-ils pas entendu parler de ces aveugles qui se mettaient à voir au simple contact de Jésus, des boiteux qui perdaient leur claudication sur son ordre, et des muets qui se mettaient à parler alors qu’il leur touchait les lèvres ? Pourtant ils étaient si proches de lui qu’il lui suffisait de tendre la main. Aurait-il peur de les toucher ? Certains des lépreux glissèrent leurs mains sous leur voile pour palper leur visage et vérifier si quelque chose s’était passé. Rien, la lèpre était toujours là ! […]

Le plus ancien d’entre eux comprit que Jésus entendait les réintégrer dans la société en les envoyant vers les prêtres. […] Il décida qu’il fallait faire ce que demandait Jésus, il se tourna vers les autres et leur commanda : « Nous y allons, il le faut, suivez-moi ! » […]

Et il advint, pendant qu’ils se rendaient auprès des prêtres, que peu à peu, ils ressentirent une métamorphose étonnante et troublante qui s’emparait de leur corps, et voilà qu’ils furent tous purifiés. Chacun découvrit avec stupéfaction le visage régénéré de ses compagnons :

« C’est donc à ça que tu ressemblais ! » Quelle émotion, quelle joie ! Après s’être montrés aux prêtres, ils partirent tous se montrer dans leur village et à leur famille. […]

Un seul, le Samaritain du groupe, plein de gratitude, n’eut de cesse de rechercher Jésus. Un seul “visage” est revenu, il s’est baissé contre terre aux pieds de Jésus, comme pour retourner à la Terre-Mère et en recevoir une création nouvelle aux pieds du Verbe qui a tout créé, tout recréé, tout sauvé. Ce Verbe lui a rendu un cÅ“ur de Lumière en même temps qu’il a éclairé son visage d’homme créé à l’image de Dieu.

 

Jean-Marie Martin, prêtre de l’Oratoire à Paris

Extrait de son ouvrage, La bonne odeur de la Miséricorde, Saint Léger Éditions, 2015.

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Méditation biblique

Illustration : Jésus guérit dix lépreux, fresque du monastère de Dečani (monastère orthodoxe serbe au Kosovo), XIV^e siècle.