Méditation biblique du père Luc Forestier
Évangile du jeudi 21 novembre 2019
Évangile du jeudi 21 novembre 2019
Quand Jésus fut proche, àla vue de la ville de Jérusalem, il pleura sur elle, en disant : « Ah ! si en ce jour tu avais compris, toi aussi, le message de paix ! Mais non, il est demeuré caché àtes yeux. Oui, des jours viendront sur toi, où tes ennemis t’environneront de retranchements, t’investiront, te presseront de toute part. Ils t’écraseront sur le sol, toi et tes enfants au milieu de toi, et ils ne laisseront pas en toi pierre sur pierre, parce que tu n’as pas reconnu le temps où tu fus visitée ! »
Luc 19, 41-44
Trois épisodes s’enchaînent avec une force dramatique qui manifeste les talents de narrateur de Luc : Jésus entre triomphalement àJérusalem, puis il pleure sur la ville et, enfin, il chasse les marchands du Temple, tandis que le peuple écoute sa prédication de feu en étant « suspendu àses lèvres » (21, 48).
La puissance de cette narration est au service d’un projet, comme Luc l’explique àdeux reprises, au début de son évangile (Lc 1, 1-4) et au début des Actes (Ac 1, 1). Il s’agit en effet d’un récit « ordonné » qui comporte deux parties, désignées par les expressions traditionnelles « Évangile selon Luc » et « Actes des apôtres », que le processus de canonisation a conduit àdéchirer pour y glisser le quatrième évangile.
Dans notre méditation sur ce récit qui enchâsse des épisodes connus parfois chez les autres évangélistes àl’intérieur d’une trame narrative, il est recommandé d’être attentif aux détails que Luc fournit, tout particulièrement dans cette phase de montée des affrontements avec les intérêts des classes dominantes àJérusalem, tant sur le plan religieux que politique, qui mèneront jusqu’àla condamnation et l’exécution de Jésus.
Et plusieurs éléments surprennent le lecteur d’aujourd’hui. Pour ne prendre que l’un d’eux, que signifient ces pleurs de Jésus ? Dans le cas de la mort de Lazare, nous comprenons àquel point la perte d’un ami cher trouble en profondeur Jésus, comme chacun de nous. La ville de Jérusalem est donc assimilée par l’évangéliste àun personnage àqui Jésus parle en lui prédisant bien des malheurs. Mais pourquoi pleurer face àla ville, et pourquoi est-ce seulement en la voyant qu’il pleure ?
En réalité, Luc organise son récit autour d’un plan géographique très ferme. Dans l’évangile puis dans les Actes, le récit part de la Galilée et va jusqu’àRome, voire en Espagne puisque Paul a l’intention de s’y rendre (Rm 15, 24.28), en passant par Jérusalem qui constitue naturellement une étape décisive. La ville est beaucoup plus qu’un décor car elle fait partie de l’intrigue, par l’accueil de ses habitants, par la présence des autorités politiques et religieuses qui, par leur conspiration, conduiront Jésus àla mort, par le fait qu’elle conserve un tombeau vide et une communauté chrétienne qui s’y rassemble et, malheureusement, s’y divise aujourd’hui encore.
Dans l’évangile de Luc, les pleurs de Jésus sur Jérusalem concernent sans doute le passé d’une ville ambivalente dans son lien àcelui qui y entre comme messie de paix. Mais ces pleurs concernent aussi le quotidien de ceux qui, en se réclamant de son nom, ne cessent de se diviser, àcommencer par les communautés chrétiennes présentes dans la Jérusalem d’aujourd’hui, comme dans les autres villes du monde. La plus grande menace qui pèse sur le christianisme a bien pour origine les chrétiens eux-mêmes et, plus particulièrement, leurs conflits nombreux !
Luc Forestier, prêtre de l’Oratoire àParis