En 1998, Israël Mensah, prêtre franco-béninois de l’Oratoire, fondait l’association Mémoires d’Afrique, dans un double but : collecter les contes africains afin de témoigner de la richesse de ce patrimoine fragile, transmis àtravers une tradition orale en disparition, et favoriser le dialogue interculturel entre la France, et plus généralement l’occident et l’Afrique.
Pouvez-vous revenir àla notion de dialogue interculturel, qui est au cœur de la mission de Mémoires d’Afrique ?
Israël Mensah : Je vais commencer par citer un extrait de discours du pape François. « Eduquer au dialogue interculturel àl’école catholique : il faut que les institutions académiques catholiques ne s’isolent pas du monde, mais qu’elles sachent entrer courageusement dans l’aéropage des cultures actuelles et entrer en dialogue, conscientes du don qu’elles ont àoffrir àtous », et si je continue avec un extrait de la charte de l’enseignement catholique : « Le plus beau don que l’enseignement catholique puisse faire àl’école est celui de témoigner de l’échange constant vécu entre identité et altérité dans une dynamique de compénétration […] sans préjugé par rapport àla culture, au sexe, àla classe sociale ou àla religion. »
Moi, ce qui m’intéresse, c’est la partie de la culture. On parle souvent du dialogue interreligieux, qui a beaucoup progressé. On parle dans nos écoles de l’accueil des différentes confessions, des athées, mais j’ai l’impression qu’on ne parle pas beaucoup du dialogue entre les cultures. Même si la culture est impactée par la religion, une culture, c’est aussi une manière de vivre, de penser, d’être, qui peut être en confrontation dans les écoles, car aujourd’hui, dans les écoles, les enfants sont issus de différentes cultures. Lorsque j’étais aumônier en lycée public àStrasbourg, je me suis rendu compte lors d’un déplacement en bus, qu’autour de moi, les enfants étaient algériens, tunisiens, marocains, turcs, italiens, français, allemands, anglais, congolais, portugais, brésiliens et je me suis dit que ce que je voyais, c’était le monde de demain. Mais, pour que tout le monde vive en harmonie, il faut connaître l’autre, et cela passe par la connaissance de sa culture. La compréhension de la culture de l’autre conduit àla paix, car elle combat les préjugés. Elle introduit aussi plus de justice, car si je comprends l’autre tel qu’il est, je serai plus juste avec lui. Il sera alors possible de rentrer en dialogue d’égal àégal. La connaissance empêche la suprématie culturelle. C’est dans cet esprit que j’ai collaboré en 2008 àla rédaction du livre blanc du Conseil de l’Europe sur le dialogue interculturel « vivre ensemble dans l’égale dignité ».
Comment Mémoires d’Afrique est née et quelles sont ses actions ?
I.M : En tant que franco-béninois, j’ai porté cette culture africaine àl’Oratoire, que Jean Dujardin et Gilbert Caffin ont ouvert àl’interculturalité. Ils m’ont soutenu lorsque j’ai créé Mémoires d’Afrique en 1998, trois ans après mon entrée àl’Oratoire. Gilbert Caffin était le représentant permanent de l’office international de l’enseignement catholique au Parlement de Strasbourg. Il était témoin des croisements culturels, et lui-même avait fait le tour du monde.
Nous avons commencé en 1999 par organiser un grand concours national de collecte de contes et légendes au Bénin, àl’aide d’urnes installées dans les établissements scolaires et les centres d’alphabétisation.
Après plus de 6 mois de collecte, le premier concours a recueilli plus de 1500 contes et légendes, majoritairement en français, mais aussi dans 12 langues différentes, traduites en français. 100 contes ont été sélectionnés et mis en forme afin d’être publiables. Puis un jury international a choisi les 24 meilleurs contes, leurs auteurs ont été récompensés et ils ont été publiés en 2005 en France. La femme panthère et autres contes du Bénin a suivi en janvier 2006, aux éditions Gallimard, dans la collection Folio-Jeunesse, puis un troisième recueil est paru en 2012.
En 2006, nous avons lancé la première « Nuit des contes ». Depuis, ce sont une dizaine de « Nuits des contes » qui ont été organisées chaque année au Bénin et également àBoulogne-Billancourt.
Pourquoi avoir choisi le conte ?
Concrètement, il a fallu réduire le champ culturel, et j’ai choisi le conte, car ce sont les jeunes générations que je souhaitais préparer àla paix. J’ai vu dans les écoles comment on pouvait ouvrir l’esprit des enfants. C’est le P. Pierre Dabosville qui a dit que « l’école n’est pas uniquement le lieu de transmission de connaissances mais celui de l’éveil de la conscience ». Si nous voulons que demain soit meilleur, c’est maintenant que nous devons prendre des dispositions. Mais pour partager sa culture, la faire connaître, il faut aider les autres ànous connaître. Les contes véhiculent le substrat de la pensée d’un peuple. Or, avec la colonisation, une partie de la culture africaine a disparu, les Africains ne connaissent plus forcément leurs contes. L’association vise àfaire revivre les sagesses populaires africaines auprès des Africains et àles faire connaître aux autres, car c’est une façon de leur dire qui nous sommes et ce faisant, de faire se rencontrer l’Europe et l’Afrique, qui sont restées chacune sur ses paradigmes.
Justement, le troisième recueil de contes de l’association, publié chez Gallimard, dans la collection Folio Junior, s’appelle Contes croisés, quand l’Afrique et l’Europe se répondent. Comment se répondent-elles ?
I.M : Dans un des contes africains, la morale finale nous dit que « le mensonge rend l’homme esclave ». La Bible nous dit la même chose, dans une formule inversée, « la vérité rend l’homme libre » ! Après avoir publié aux éditions Karthala un premier recueil en 2005, Contes et légendes du Bénin, puis un second, La femme panthère et autres contes du Bénin en 2006, j’ai été contacté par Gallimard, qui a voulu la parution de Contes croisés, quand l’Afrique et l’Europe se répondent.
C’est Gallimard qui a eu l’idée de mettre en perspective les contes de nos deux cultures, qui portent sur les mêmes thèmes, comme « Ne faisons pas aux autres… » qui regroupe Le Renard et la Cigogne de Jean de La Fontaine et La tortue et le serpent, un conte nago (les Nagô sont une population d’Afrique de l’ouest vivant principalement au Bénin) ou « La jalousie est un poison », qui met en regard un conte aïzo (population vivant au sud du Bénin) La jalousie détruit tout et La Belle au bois dormant de Charles Perrault.
L’enfant qui commence àlire, découvre les mêmes sagesses, mais narrées d’une façon différente et mettant en scène des animaux exotiques, ceux de l’Afrique ! Il découvre ainsi àquel point les sagesses sont proches même si les contextes sont très différents. L’idée est de montrer aux enfants que nous développons les mêmes imaginaires avec des outils différents selon les continents, afin qu’ils ne se regardent plus comme étrangers les uns aux autres.
Tout se joue dans les années de formation. Gallimard s’est ainsi saisi des contes collectés par l’association pour en faire un livre àdestination des classes de 6e. Les contes étant au programme de ce niveau, l’éditeur a conçu le livre avec des outils de travail pour les enseignants, c’est-à-dire une table des matières qui regroupe les contes des différents pays par thème.
Toujours dans l’esprit de formation et de transmission, Mémoires d’Afrique est en train d’élaborer un cours de formation des futurs prêtres àla culture africaine. C’est une mission confiée par un évêque du Bénin. Il trouve que l’enseignement actuel, dans son ensemble, est bon mais il fonctionne comme une prothèse venue d’ailleurs qui n’est pas en adéquation avec la cosmogonie et la sagesse africaines. C’est un défi àrelever pour Mémoires d’Afrique.
Livres parus :
Contes croisés, quand l’Afrique et l’Europe se répondent, Gallimard Jeunesse (collection Folio Junior), 2012
La femme panthère et autres contes du Bénin, Gallimard Jeunesse (collection Folio Junior), 2006
Contes et légendes du Bénin, Karthala, 2005
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