Des Oratoriens méditent la Bible. François Picart (13.08.2017)
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu (Mt 14, 22-33)
Aussitôt après avoir nourri la foule dans le désert, Jésus obligea les disciples àmonter dans la barque et àle précéder sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules. Quand il les eut renvoyées, il gravit la montagne, àl’écart, pour prier. Le soir venu, il était là, seul. La barque était déjààune bonne distance de la terre, elle était battue par les vagues, car le vent était contraire. Vers la fin de la nuit, Jésus vint vers eux en marchant sur la mer. En le voyant marcher sur la mer, les disciples furent bouleversés. Ils dirent : « C’est un fantôme. » Pris de peur, ils se mirent àcrier. Mais aussitôt Jésus leur parla : « Confiance ! C’est moi ; n’ayez plus peur ! » Pierre prit alors la parole : « Seigneur, si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers toi sur les eaux. » Jésus lui dit : « Viens ! » Pierre descendit de la barque et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus. Mais, voyant la force du vent, il eut peur et, comme il commençait àenfoncer, il cria : « Seigneur, sauve-moi ! » Aussitôt, Jésus étendit la main, le saisit et lui dit : « Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » Et quand ils furent montés dans la barque, le vent tomba. Alors ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant lui, et ils lui dirent : « Vraiment, tu es le Fils de Dieu ! »
Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu (Mt 14, 22-33)
Cette scène se déroule de nuit. Elle présente Pierre comme le type du disciple confronté, dans sa foi, àla peur génératrice de doute. Le doute de Pierre n’est pas ici d’ordre méthodologique, ni ne relève d’un raisonnement. Si le doute méthodologique par lequel le disciple du Christ cherche àapprofondir sa foi, n’est pas incompatible avec celle-ci, en revanche, dans l’interpellation de Jésus, le doute produit par la peur manifeste l’absence de confiance en lui.
Pierre doute parce qu’il ne parvient pas àcontrôler sa peur. Elle le submerge comme les flots dans lesquels il s’enfonce, ce monde marin, inconnu et menaçant, pour les peuples du désert dont est issu le peuple d’Israël. Nous retrouvons d’autres exemples où le sentiment de peur est présenté comme un obstacle àla foi dans l’évangile de Matthieu. Par exemple, dans le récit de la tempête apaisée : « Pourquoi êtes-vous si craintifs, hommes de peu de foi ? »  (Mat. 8, 26). Dans le Livre de la Genèse, Adam répond àDieu qui le cherchait, qu’il se cachait parce qu’il avait peur (Gn 3, 10). Dans l’Évangile de Marc, la découverte du tombeau vide suscite la peur des femmes (Mc 16, 5, 8), tandis qu’en Luc 24, 37, la manifestation du Ressuscité aux disciples les laisse « saisis de frayeur et de crainte », alors que celui-ci leur offrait sa paix !
En tant qu’obstacle àla relation de confiance àlaquelle le Seigneur appelle ses disciples, les sentiments de peur, d’angoisse ou de frayeur sont àdistinguer de la « crainte du Seigneur » écho de la grandeur de Dieu. Ils manifestent plutôt un écart au regard de la relation de confiance àlaquelle le Ressuscité invite le disciple. Cet écart ouvre l’espace d’un itinéraire. Celui que Jésus a parcouru depuis la peur et l’angoisse suscitées par la perspective d’un procès et du calvaire qui l’attendaient, jusqu’àla confiance exprimée depuis sa prière àGethsémani et l’abandon entre les mains de son Père sur la croix. Un itinéraire dont l’incarnation du Fils révèle qu’il est accessible àtout homme. Mais c’est de nuit, comme le chante Jean de La Croix.
Nuit de l’hostilité àJésus et de la violence qui la caractérise : son rejet àNazareth, l’assassinat de Jean-Baptiste juste avant le récit de la multiplication des pains qui précède cette scène de la marche sur l’eau. Nuit de l’Église des premiers siècles confrontée aux persécutions de ses membres, nuit de l’Église aujourd’hui confrontée au renouvellement des médiations de sa fécondité. Nuit de la peur qui habite les malades dans la solitude des hôpitaux, les réfugiés obligés de quitter leur terre natale pour l’inconnu, et tous les perdants des bouleversements affectant notre société.
De la même manière que c’est souvent de nuit que Jésus priait son Père, c’est aussi « de nuit » que le Christ rejoint ses disciples qui livrent le combat de la foi pour quitter les fantômes avec lesquels ils le confondent, et adhérer au « Fils de Dieu » en tant qu’il arrache àl’abîme (Cf. Ps 18, 17 ; 32, 6 ; 144, 7 ; Is 43, 2). Confondu avec un fantôme, Jésus suscite la peur. Mais confessé comme Fils de Dieu en réponse àson appel àle rejoindre « sur les eaux », il suscite la confiance nécessaire pour avancer.
Une nuit qui se décrypte àla lumière de la nuit de Jésus àGethsémani, étape de l’itinéraire pascal de Jésus. Elle indique que l’action de l’Esprit requiert l’abandon de soi. Une démarche qui est de moins en moins familière dans la culture de l’autonomie et d’une part de volontarisme où nous évoluons. Elle laisse peu de place àla forme de dépendance que requiert la démarche d’abandon de soi. À Gethsémani, Jésus incarne une autre attitude et révèle la capacité de l’homme àfaire face àsa peur au moment où celle-ci semble le submerger. Lorsque nous avançons de nuit, personnellement où en sympathie avec des proches, abandonnons-nous au travail de l’Esprit qui libère les sources de la confiance pour renoncer ànos fantômes et adhérer au Christ qui nous rejoint afin de nous appeler àaller de l’avant.
François Picart, prêtre de l’Oratoire