« Parlons de toit »
Méditation du P. Luc Forestier
Méditation du P. Luc Forestier
Évangile du lundi 28 novembre 2022
En ce temps-là, comme Jésus était entré àCapharnaüm,
un centurion s’approcha de lui et le supplia :
« Seigneur, mon serviteur est couché, àla maison, paralysé, et il souffre terriblement. »
Jésus lui dit : « Je vais aller moi-même le guérir. »
Le centurion reprit : « Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit,
mais dis seulement une parole et mon serviteur sera guéri. Moi-même qui suis soumis àune autorité, j’ai des soldats sous mes ordres ;
àl’un, je dis : “Vaâ€Â, et il va ; àun autre : “Viensâ€Â, et il vient, et àmon esclave : “Fais ceciâ€Â, et il le fait. »
À ces mots, Jésus fut dans l’admiration et dit àceux qui le suivaient :
« Amen, je vous le déclare, chez personne en Israël, je n’ai trouvé une telle foi. Aussi je vous le dis : Beaucoup viendront de l’orient et de l’occident et prendront place avec Abraham, Isaac et Jacob au festin du royaume des Cieux. »
 Mt 8, 5-11
Juste avant de communier, nous prononçons une formule qui n’a pas changé avec la nouvelle traduction liturgique du Missel romain : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri. » Il est dommage de ne pas avoir repris la formule latine sous-jacente, « sub tectum meum », qui vient directement de la belle confession de foi que Matthieu met sur les lèvres de ce païen.
En effet, au moment où ce dernier s’adresse au Seigneur pour le supplier àpropos de son serviteur, c’est le mot de « toit » qu’il emploie pour refuser que Jésus pénètre dans sa maison. De façon surprenante, Jésus change d’avis et la guérison se produit àdistance, tandis qu’une prophétie annonce un mouvement mondial qui a pour but, non la ville de Jérusalem comme l’annonçait Isaïe, mais le royaume de Dieu ! Deux types de tensions sont donc àl’œuvre dans cet épisode bref mais décisif du premier évangile.
D’une part, il y a bien un toit – c’est-à-dire une maison où sont reçues en particulier les personnes malades – mais toutes ces réalités architecturées pour importantes qu’elles soient dans le temps de l’histoire, sont relatives au royaume des cieux où se prépare un festin. Ce dernier repas mettra fin, c’est-à-dire accomplira et achèvera, les autres repas qui nous permettent de vivre, en particulier l’eucharistie. Il est donc bien question d’un toit, celui de nos maisons et de nos églises, mais aussi de nos propres existences, et il s’agit d’accueillir sous notre toit toutes les personnes qui viennent, en particulier les malades. Mais ces toits ne sont nécessaires que dans le temps de l’histoire, et ne font que préfigurer les temps ultimes dont ils constituent un pâle avant-goût. Le soin légitime que l’on apporte àtous nos « toits » est finalisé par la promesse d’un royaume dont Dieu seul connaît les limites.
D’autre part, alors que d’autres évangiles sont très nets dans la rupture que constitue la rencontre de Jésus avec les païens – dans l’évangile de Jean, tout se joue pendant la Passion, plus particulièrement au moment où Jésus entre dans le palais de Ponce Pilate, premier païen que rencontre longuement Jésus – l’évangile de Matthieu présente un schéma plus complexe dès l’origine. La visite des Mages venus d’Orient (Mt 2,1-16) que Matthieu est seul àrapporter montre que, dès la naissance du Messie d’Israël, un déplacement s’opère vers Bethléem. Les païens sont dès le début associés au ministère de Jésus, en tension avec d’autres représentations comme celle de saint Luc. Pour ce dernier, c’est en effet l’échec de la prédication évangélique aux juifs qui conduit Paul et ses compagnons àse tourner vers les païens (Ac 13,46).
Pour nous, qui sommes majoritairement des païens devenus chrétiens par le baptême, cet épisode nous fait goûter la grâce de recevoir sous notre « toit » le Christ Jésus, Messie d’Israël, et d’entrer ainsi dans l’Alliance que Dieu propose inlassablement.
Luc Forestier, prêtre de l’Oratoire àBelloc (Pyrénées-Atlantiques)
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Illustration : Paysage avec saint Matthieu et l’Ange, Nicolas Poussin, vers 1640, Gemäldegalerie, Berlin