« Saint Polyeucte est un martyr dont (s‘il m’est permis de parler ainsi) beaucoup ont plutôt appris le nom àla comédie qu’àl’Église. »
Ainsi Corneille évoque-t-il le saint dont il fait le héros d’une tragédie en 1643, ouvrant ainsi une nouvelle page sur les relations complexes et tumultueuses qui eurent lieu au XVIIe siècle entre le Théâtre et l’Église.
Polyeucte fut martyrisé pour être allé, dans le temple de Mélitène, en Arménie, en 250 ap. J.-C., briser les idoles païennes et détruire une statue de Jupiter. Les récentes destructions, infligées àdes temples antiques comme àdes églises chrétiennes, prétendument au nom de l’Islam (Mossoul, Palmyre, etc.) ont donné l’idée àla metteur en scène Brigitte Jaques-Wajeman de représenter au public ce chef d’œuvre de Corneille.* Polyeucte déclare :
« Dressons-lui des Autels [àDieu] sur des monceaux d’Idoles. »
Bien entendu, comme le souligne un personnage de la pièce, les chrétiens détruisent alors des Temples mais ne massacrent pas les païens.
Corneille est élève des Jésuites, Racine des Jansénistes, entre eux deux se situerait peut-être l’Oratoire, ouvert àla science comme aux arts (Malebranche), au cœur de cette très riche spiritualité du XVIIe siècle français. Mais Polyeucte ne s’appelle « tragédie chrétienne » que plus tard, tant il est vrai que le théâtre tragique de ce siècle reste prudent en ce qui concerne les « comédies de dévotion », et même si un édit royal de Louis XIII avait sorti de l’« infamie » le statut des comédiens en 1641.
Le Polyeucte de Corneille, qui crut oeuvrer pour Dieu en recherchant le martyre dans son « zèle téméraire de briser des idoles», peut être considéré comme « un innocent coupable », afin de satisfaire aux exigences de la tragédie selon Aristote, qui veut que le héros principal commette « quelque faute ». Sinon, pas de drame. Et l’érudition cornélienne nous rappelle que le Concile d’Elvire (un quartier de Grenade), tenu en 305-6, soit cinquante ans après le martyre de Polyeucte, avait condamné de tels agissements, « car on ne voit pas dans l’Évangile que les Apôtres aient agi de la sorte. »
C’est cette tension étonnante, incarnée dans une histoire amoureuse très originale, que la représentation théâtrale actuelle entend déployer.
Perspective singulière ouverte par le poète sur les rapports du christianisme et du théâtre, qui, Dieu merci, pour nous, est une question qui doit demeurer ouverte, infiniment ouverte.
François Regnault, Paroissien de Saint-Eustache
*J’évoque ce Polyeucte pour avoir travaillé comme collaborateur artistique sur le spectacle qui se donne actuellement au Théâtre des Abbesses jusqu’au 20 février.