L’Oratoire : une tradition éducative
C’est en 1638 que l’Oratoire ouvre la page de son engagement dans le secteur éducatif. Dès avant la mort de Pierre de Bérulle, fondateur de l’Oratoire, il existait déjà vingt collèges oratoriens.
Dès le XVIIe siècle, l’Oratoire propose un enseignement moderne : le français est introduit comme langue scolaire à la place du latin, les programmes s’ouvrent à la littérature contemporaine, à l’histoire nationale, à la géographie et même à la géographie humaine (religion, commerce, mœurs). On y enseigne aussi les mathématiques, la physique, l’astronomie et même (mais uniquement dans les écoles militaires) les langues vivantes : l’anglais et l’allemand. Partout se fait jour le souci des méthodes pédagogiques qui privilégient l’intelligence sur la mémoire, l’intérêt sur la coercition.
Autant d’éléments qui expliquent que les idées du Siècle des Lumières et des débuts de la Révolution française sont regardées avec sympathie par beaucoup d’enseignants et leurs élèves. Pierre Daunou (1761 – 1840), après avoir été prêtre de l’Oratoire et enseignant dans plusieurs collèges, a défendu devant la Convention thermidorienne la loi du 3 brumaire an IV sur l’instruction publique, souvent désignée sous le nom de Loi Daunou.
Pierre de Bérulle (1575-1629)
L’apport essentiel de Pierre de Bérulle au courant mystique du XVIIe siècle (l’Ecole Française) tient au regard renouvelé et passionné qu’il porte sur l’Incarnation de Dieu en Jésus de Nazareth qui permet à l’homme d’accéder au Dieu caché : « Là , Dieu incompréhensible, se fait comprendre, Dieu ineffable se fait entendre, Dieu invisible se fait voir. » Il met en valeur le message que l’on trouve dans l’Epitre de Paul aux Philippins ( 2/6 -11 ) : Devenant homme, le Fils a librement renoncé à sa gloire divine qu’Il enrichit d’un nouveau titre par son dépouillement consenti. Pour chaque chrétien, c’est une bonne nouvelle de savoir que Dieu ne s’est pas dégradé dans sa fréquentation des hommes. Ceux-ci, à l’imitation de son Fils, ne peuvent que grandir dans le service de leurs frères.
« Régir une âme, c’est régir un monde et un monde qui a plus de secrets et de diversités, plus de perfections et de raretés que le monde que nous voyons et un plus excellent rapport à celui qui est le créateur [ …] Chaque âme doit être référée à Dieu et humblement considérée comme un effet de la puissance divine qui la crée, comme un objet de sa sapience qui la conduit, comme un sujet de sa sainteté, qui doit reluire et opérer en elle par la grâce. Et nous devons regarder chaque âme comme un sujet enclos dans la divine providence pour sa gloire […]
Et encore que la misère du monde et notre aveuglement ne nous élève pas à ces pensées, nous devons y élever nos esprits par la puissance de la foi et considérer chaque âme comme un effet de Dieu caché dedans la terre. […]
Mais si nous considérons le temps auquel nous sommes qui est le temps de la grâce, nous verrons comme chaque âme est un membre appartenant au corps du Fils de Dieu. » Car nous sommes tous greffés en lui comme le cep en la vigne et nous sommes os de ses os, chair de sa chair, et chaque âme fait partie du corps spirituel et mystique de Jésus. »
Mémorial de direction, Oeuvres complètes, tome 8, p. 374-376
Jean Morin (1591-1659)
Converti du protestantisme, il est directeur de l’école d’Orléans, puis à Angers et Lyon. Il a accompagné le cardinal Pierre de Bérulle lors de sa mission en Angleterre. Orientaliste, il a écrit de nombreux ouvrages d’histoire ancienne.
« L’unique but de l’éducation doit être de chercher l’utilité de la jeunesse et ce qui peut contribuer à son véritable bonheur.« La ratio, 1645
Nicolas Malebranche (1638-1715)
Il a participé au mouvement des idées de la fin du XVIIe : ses ouvrages traitent aussi bien de science, de morale que de métaphysique (La Recherche de la Vérité, 1672). Plusieurs de ses ouvrages furent mis à l’index : son Traité de la nature et de la grâce était aussi en avance sur son temps que ses travaux sur la nature ondulatoire de la lumière qui lui valurent d’être élu membre de l’Académie des Sciences.
» On s’imagine ordinairement que la liberté est égale dans tous les hommes et que c’est une faculté essentielle aux esprits. Mais on se trompe… Ceux qui ont des passions violentes et qui ne sont point accoutumés à y résister sont moins libres que ceux qui les ont généreusement combattues et qui sont naturellement modérés… Tout homme parfaitement libre, parfaitement raisonnable, et qui veut être véritablement heureux, peut et doit, à la présence de quelque objet que ce soit qui fait sentir du plaisir, suspendre son amour et examiner avec soin si cet objet est le vrai bien. »
Traité de la nature et de la grâce, Troisième discours
Bernard Lamy (1640-1715)
Professeur de philosophie à Saumur, Vendôme et Juilly fondé en 1638, puis de théologie à Saumur et Angers. Il connut un temps l’exil pour avoir soutenu les thèses de Descartes et recommandé l’Histoire critique de l’Ancien testament (1678) du père Richard Simon, lui-même condamné à quitter l’Oratoire. Il est l’auteur d’Entretiens sur les sciences.
» Notre esprit n’est pas fait pour l’érudition, mais l’érudition pour l’esprit, c’est-à -dire qu’on doit s’en servir pour le régler et le perfectionner… Il en est de l’étude comme des viandes qui ne nourrissent qu’après qu’elles ont été digérées en l’estomac. Il faut que les études se changent en notre substance et que, par des réflexions sur ce que nous avons lu ou entendu, nous fassions entrer avant dans notre esprit et que nous y attachions des maximes solides, des vérités claires qui les nourrissent et le fassent, pour ainsi dire, croître à mesure que nous étudions. »
» Il faut une espèce de politique pour gouverner ce petit peuple, pour le prendre par ses inclinations, pour prévoir l’effet des récompenses et des châtiments et les employer selon leur usage. Il y a des temps d’opiniâtreté où un enfant se ferait tuer plutôt que de plier. C’est être bien cruel ou bien imprudent que de ne pas laisser passer ce mauvais temps. «
John Henry Newman (1801-1890)
Curé anglican de St Mary d’Oxford, et tutor de l’Oriel college d’Oxford, il se convertit au catholicisme et fonde un Oratoire à Birmingham, puis à Londres. Il devient recteur de l’Université catholique de Dublin, et quitte l’Irlande pour venir créer l’Oratory school à Londres. Il est élevé à la pourpre cardinalice en 1879 et a été béatifié à Birmingham le 19 septembre 2010.
« Une université n’est ni un couvent ni un séminaire ; c’est un endroit où l’on prépare à la vie du monde, des hommes de ce monde. Il nous est impossible de les empêcher, quand leur heure sera venue, de se plonger dans le monde, avec toute ses tendances, ses principes et ses maximes ; mais nous pouvons les prémunir contre ce qui est inévitable, car on n’apprend pas à nager en eau trouble en refusant d’y pénétrer. »
L’Idée d’université, neuvième conférence
Alphonse Gratry (1805-1872)
Esprit brillant, il entre à Polytechnique afin d’acquérir des connaissances multiples mais quitte l’école en 2e année. Il devient directeur du collège Stanislas, aumônier de l’école Normale supérieure, professeur à la Faculté de théologie de Paris, et membre de l’Académie Française. L’œuvre centrale de sa vie sera le rétablissement de l’Oratoire en France, en 1852 avec le père Pierre Pététot (1801-1888), curé de Saint-Roch, qui avait sur recréer dans sa paroisse une communauté sacerdotale dynamique.
« Rattacher tout à Jésus-Christ, les lettres, les sciences, les arts, la philosophie et l’histoire, le droit et les lois… C’est le mot de Saint Paul appliqué à l’ordre intellectuel : résumer tout, récapituler tout en Jésus-Christ, c’est-à -dire rattacher à cette tête, à ce principe, à cette source, à ce centre, tous les rayons de l’être humain. »
Discours sur le devoir intellectuel des chrétiens et sur la mission de l’Oratoire.
Lucien Laberthonnière (1860-1932)
Professeur au collège de Juilly, puis directeur à Massillon et à Juilly. La loi de 1902 interdisant les congrégations met fin à ces activités. Il devient directeur des Annales de philosophie chrétienne. A partir de 1925, et pendant plusieurs années, il préparera les conférences de Carême à Notre-Dame de Paris pour le père Sanson, conférences qui eurent un grand retentissement. Il fut, au début du siècle, interdit de publication par sa hiérarchie : la profondeur de ses vues sur les rapports de l’homme à Dieu ne sera reconnue que cinquante ans plus tard.
« L’autorité n’est pas une volonté qui s’impose pour dominer, mais une volonté qui se prête à d’autres volontés pour les aider à vouloir, pour vouloir avec elles. L’enfant n’est la chose de personne. Il s’agit de le servir pour, en partant de ce qu’il est, et en suscitant ses énergies, l’aider à devenir ce qu’il doit être. «
La théorie de l’éducation
Pierre Dabosville (1907-1976)
Prêtre à 24 ans, il est aumônier dans plusieurs collèges oratoriens, puis Aumônier général de la Paroisse universitaire. Il prit la direction du collège Saint-Martin de France à Pontoise. Il fut membre du Conseil épiscopal catholique pour les relations avec le judaà¯sme.
« L’école est une société de personnes. Cette société peut avoir besoin d’un minimum de contraintes pour exister comme corps, pour se donner les conditions de son existence. Mais elle ne commence à exister que par l’échange de paroles vraies, dans le respect mutuel, dans l’amitié… Il n’y a pas de société sans échanges vrais, il n’y a pas d’échanges si les interlocuteurs n’acceptent pas d’être mis en question. Il n’y a pas d’école si les maîtres n’acceptent pas d’être jugés comme ils jugent. Il n’y a plus de père, ni de fils, si le fils ne peut devenir l’égal du père. »
« Prier, c’est poursuivre une conversation que Dieu lui-même a inaugurée. Il a parlé, il s’est montré par sa parole et celle-ci éclaire et juge tout ce qui arrive, mais nous avons à découvrir peu à peu quelle lumière vient de lui sur les faits et sur les choses. »
» Par la prière nous devenons autres : la prière change le monde parce qu’elle change les hommes. »
Les événements et la prière, CLD, 1982
Vincent Ou (1916-1972)
Né à Pékin, il est élevé dans la doctrine de Confucius par une famille de lettrés. Il vient passer son doctorat de mathématiques en France ; se convertit en 1946. La Révolution chinoise de 1949 l’empêche de retourner dans son pays. Il devient professeur à Rocroy Saint-Léon (Paris), à l’Institut Catholique de Paris et à l’Ecole des Langues orientales.
« L’homme ne peut plus porter sur la nature le même regard qu’avant. Elle lui apparaît si remplie de lui-même qu’elle se trouve vidée de Dieu. L’univers semble de ce fait, en dépit de son immensité, muré, isolé, abandonné. L’homme y est désormais solitaire, et ce besoin spirituel qu’il porte en lui ineffablement, devient son objet, incompréhensible, absurde… C’est cette absence de Dieu qui donne toute sa valeur à l’entrée du Dieu vivant dans l’histoire, à sa Révélation qui culmine dans l’Incarnation, dans la Passion et la Résurrection. C’est cela la grande Nouvelle, c’est cela que l’homme moderne a le devoir et le droit de savoir. »
Gilbert Caffin (1932-2013)
Educateur à Saint-Martin, il entreprit un voyage d’études d’éducation comparée (1974-1975) sur les réformes scolaires en divers pays et publia Mettre au monde : éducation et mondialité (1980) ; il poursuivit la rédaction de nombreux articles. Formateur d’enseignants pour les écoles catholiques d’Alsace, il devient en 1980 représentant permanent de l’OIEC (Office international de l’enseignement catholique) au conseil de l’Europe et le demeura jusqu’en 2001.
« Faire silence en soi pour apprendre à écouter l’autre n’est pas spontané. Il faut toujours y veiller mais aussi apprendre à le faire. Il ne suffit pas de se taire pour entendre il faut taire en soi le discours intérieur pour écouter ce qu’essaie de dire l’autre. Cela suppose qu’on fasse confiance à l’autre, d’être convaincu qu’il peut avoir quelque chose à nous dire. Cela suppose aussi que chacun s’exerce à ce respect de l’Esprit en soi. C’est ainsi que le silence amène à la découverte de sa vie spirituelle.« »
La pédagogie du recueillement, extrait d’une conférence donnée le 14 octobre 2005