Dans son dernier ouvrage, Paul et les femmes, ce qu’il a écrit, ce qu’on lui a fait dire, Michel Quesnel, prêtre de l’Oratoire, reprend avec rigueur les propos de Paul sur les femmes et ses relations avec elles. Il décrypte pour nous le regard qu’a porté Paul sur ses contemporaines et ce qui a fait son image d’apôtre misogyne.
Votre ouvrage est sorti peu de temps après celui de Chantal Reynier, Les femmes de Paul, qui dresse un portrait des femmes de l’entourage de Paul et réagit également contre sa prétendue misogynie. Y a-t-il une volonté contemporaine de rendre » justice » à l’apôtre ?
M.Q. : L’ouvrage de Chantal Reynier et le mien n’ont pas le même objet. Chantal Reynier s’intéresse aux femmes que Paul a connues et dont le nom figure dans le Nouveau Testament, quel que soit le statut des livres dans lesquels elles sont nommées : les lettres authentiques de Paul, les lettres écrites sous son nom mais dont il n’est pas l’auteur, et les Actes des Apôtres. Dans mon ouvrage, je prends en compte ces différences. Et, en plus des femmes dont les noms sont connus, j’étudie le vocabulaire de la féminité (femme, mère, grand-mère, veuve, vierge, etc.), par exemple des phrases comme celle-ci : » Que les femmes se taisent dans les Eglises »» (1 Corinthiens 14,34). Mon enquête – car c’en est une – parvient à la conclusion que les textes les plus réservés par rapport aux personnes de sexe féminin n’ont pas été rédigés par Paul, mais par des disciples plus ou moins proches de lui, entre dix et quarante ans après sa mort. Cela dit, Chantal Reynier et moi partageons la même conviction que taxer Paul de misogynie est lui faire un mauvais procès. Elle et moi avons la prétention de lui rendre justice.
Vous vous appuyez beaucoup sur le vocabulaire grec de la féminité et de la masculinité employé par Paul, en rétablissant parfois une traduction erronée. Est-ce à dire que les traductions ont souvent dénaturé la pensée de Paul ?
M.Q. : La façon dont certains textes ont été traduits est désastreuse ; elle reflète la misogynie des traducteurs et non pas celle de Paul. L’exemple le plus frappant se trouve dans la 1ère épître aux Corinthiens. Paul demande aux femmes, lorsqu’elles prient à haute voix ou prophétisent dans les réunions de prière, de se couvrir la nuque avec leurs cheveux, ce qui est une mesure de décence et renforce leur autorité. Or, presque toutes les traductions françaises, jusque dans les années 1950, ont traduit le terme grec » autorité »» (exousia) par » soumission »»; elles ont remplacé l’autorité exercée par l’autorité subie, alors que jamais le terme grec n’a ce sens dans le Nouveau Testament. Où est alors le misogyne ? Est-ce l’apôtre ou son traducteur ?
J’ajoute, à propos de ce passage, que la plupart des traductions parlent de » voile »», alors que le texte original n’utilise pas le terme et demande simplement aux femmes qui s’expriment à haute voix dans l’assemblée d’avoir une coiffure décente. Il en est résulté que, pendant des siècles, l’Eglise catholique latine a imposé aux dames de porter un chapeau ou une mantille lorsqu’elles assistaient à des offices, alors qu’elles sortaient dans la rue, tête découverte, depuis des décennies. Là encore, où est le misogyne ?
Paul n’a pas hésité à confier des responsabilités aux femmes, peut-on savoir si c’était par choix ou par nécessité ?
M.Q. : La réponse à cette question est complexe. Dans les civilisations méditerranéennes antiques, une fille était soumise à son père, et une femme mariée l’était à son conjoint. Paul ne cherche pas à lutter contre la culture ambiante. Il ose cependant affirmer, ce qui est révolutionnaire pour l’époque que, devant Dieu, il n’y pas de différence de dignité entre un Juif et un païen, entre un esclave et un homme libre, entre un homme et une femme (Galates 3,28). Toujours dans la culture méditerranéenne antique, une femme ne présidait pas un repas, sauf exception. C’était donc presque toujours un homme qui présidait le Repas du Seigneur, l’ancêtre de notre messe. Il arrive cependant à l’Apôtre de reconnaître des responsabilités à des dames, notamment lorsque les deux membres du couple étaient engagés dans l’Eglise et que la femme se trouvait plus disponible que son mari. Pour Prisca et Aquilas, Mme Prisca est parfois nommée par Paul avant M. Aquilas, son mari (Romains 16,3). Paul reconnaît également comme « apôtres » le couple formé par Andronicus et Junia ; or, « apôtre » correspond à la plus haute responsabilité dans les Eglises antiques (Romains 16,7). En fait, Paul s’adapte aux situations auxquelles il est mêlé. Il ne privilégie pas les femmes, mais il est prêt à leur confier des responsabilités lorsque cela sert la vitalité des Eglises.
Le sérieux de votre ouvrage n’empêche pas l’humour, dont vous usez parfois. Est-ce la volonté de rendre l’ouvrage plus accessible au lecteur novice ou de garder malgré tout une distance avec le sujet ?
M.Q. : J’ai envie de répondre : les deux. Plusieurs personnes qui ont lu mon livre, y compris des femmes, m’ont affirmé qu’elles l’avaient dévoré comme un roman ; je considère cela comme un compliment. Il me semble aussi, que, dans toute recherche historique, il faut avoir de la distance par rapport à ses conclusions. L’histoire n’est pas une science exacte. L’ouvrage que j’ai rédigé est conditionné par l’atmosphère occidentale du XXIe siècle. J’accepte parfaitement que des lecteurs ne soient pas convaincus par mes arguments.
Michel Quesnel, prêtre à l’Oratoire, professeur honoraire à l’Institut catholique de Paris, recteur honoraire de l’Institut catholique de Lyon, est spécialiste du Nouveau Testament. Il a publié de nombreux ouvrages, dont plusieurs sur saint Paul.
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