« Que je retrouve la vue ! » – François Picart (25 octobre 2015)

« Que je retrouve la vue ! »

Dans les bouleversements de société, nous sommes comme Bartimée au bord du chemin, à l’affût de qui pourrait nous éclairer : « Jésus, Fils de David, prends pitié de moi ! »  Qu’il s’agisse de l’impact du puissant phénomène migratoire auquel nous assistons depuis plusieurs décennies, dont les réfugiés ne sont que la pointe de l’iceberg, ou des conséquences météorologiques du réchauffement de la planète, nos sociétés affrontent un défi où il se joue indéniablement quelque chose qui est de l’ordre du salut. Un salut à comprendre moins au seul sens d’une vie après la mort, qu’à celui d’une vie nouvelle qui fait irruption au milieu du chaos. Un salut pour tous les perdants des équilibres actuels ou à venir, et parmi lesquels les générations futures ne sont pas les dernières.

Dans l’Écriture, le salut de Dieu est associé à une promesse qui suscite confiance et adhésion, telle la parole adressée à Moïse au milieu de son peuple en esclavage ou celle adressée à Isaïe ou Jérémie au temps de l’Exil et du peuple dispersé. Bon an, mal an, grâce à l’accueil réservé à cette promesse, elle produit de nouveaux équilibres personnels, politiques et religieux qui sont mis en place, définitivement, pour nous chrétiens, depuis l’interprétation et l’incarnation qu’en a faite Jésus de Nazareth. Elles ont été authentifiées par Dieu en le ressuscitant. Pour autant, la profondeur du salut de Dieu ne peut revêtir une forme figée sous les traits d’une époque ou d’un territoire. Le salut se joue aussi, aujourd’hui, dans la manière dont nous relevons les défis avec les autres. Est engagée notre responsabilité envers les générations à venir, lesquelles sont également destinataires de la promesse de vie et de bonheur que Dieu adresse à tous les hommes.

Après tant d’alertes restées vaines sur l’avenir de la planète, quelle promesse nous mobilisera pour nous rendre disponibles à la nouvelle donne écologique qui se met en place sous nos yeux ? Quand notre prise de conscience conduira-t-elle à des décisions et à des actes ? La « révolution écologique », dont parlait Jean-Paul II, tarde à s’inscrire dans les actes quotidiens et les décisions politiques. De même, les crispations identitaires que provoquent des flux migratoires irréversibles sont le signe que nous recourons à des repères appartenant au monde ancien qui est en train de disparaître, des repères dépassés. Sur le bord du chemin, reprenons le cri de Bartimée : « Jésus, Fils de David, prends pitié de moi ! »  pour accueillir, à la lumière de l’Évangile, le monde nouveau en train d’émerger sous nos yeux.

Le salut de Dieu, avec la promesse de vie et de bonheur qu’il véhicule, continue de résonner au sein de la révolution écologique, comme au sein des flux migratoires. À quelle conversion nous appelle l’Évangile pour participer à la mission du peuple de Dieu ? Elle consiste à porter et annoncer cette promesse au sein de l’humanité. Mais lorsque ce peuple résiste à se convertir ou lorsqu’il est trop faible, l’Écriture présente maints exemples de la capacité de Dieu à recourir à d’autres vecteurs pour que se réalise la promesse d’une vie nouvelle au milieu du chaos des événements. Dès lors, dans la pâte des réflexions, des questions, ou des propositions sur la question écologique, comme sur la question migratoire, comment pouvons-nous renouveler nos convictions, nos solidarités, nos mœurs pour que travaille en nous et dans la société le ferment de l’Évangile ?

Par le passé, l’Évangile a déjà permis d’ouvrir plusieurs pistes de salut pour affronter les questions auxquelles était confrontée l’humanité. L’élaboration d’une notion comme le « bien commun » en est le signe. Loin d’être un concept figé, cette expression associe plusieurs notions : la dignité de la personne humaine, le bien-être et le développement du groupe, et la recherche d’une paix juste. La préoccupation du bien commun s’est affaiblie au profit des intérêts égoïstes, comme le montrent le traitement des océans ou de l’atmosphère, de même que les crispations identitaires produites par les flux migratoires. Cette expression apporte un éclairage pour aider chacun à « retrouver la vue », en repérant comment il ajuste les trois pôles de cette notion dans sa vie quotidienne, dans l’exercice de ses responsabilités, dans ses prises de décision. À commencer par la responsabilité de veiller fraternellement les uns sur les autres en incarnant la charité de Dieu. «Jésus, Fils de David, prends pitié de moi : que je retrouve la vue !   »

François Picart (Prêtre de l’Oratoire)