Qu’est-ce que l’homme quand Dieu se fait homme?
avec les pères Pierre de Bérulle (1575-1629) et Charles de Condren (1611-1641), par le père Gilbert Caffin
avec les pères Pierre de Bérulle (1575-1629) et Charles de Condren (1611-1641), par le père Gilbert Caffin
Pierre de Bérulle et Charles de Condren ont fortement influencé le premier Oratoire. Et même toutes les congrégations de l’Ecole de spiritualité française : Vincent de Paul, « dirigé » de Bérulle ; Monsieur Ollier, fondateur des sulpiciens, dirigé de Condren ; Jean Eudes, oratorien lui-même, disciple de Bérulle.
Pierre de Bérulle a 50 ans lorsqu’il se trouve mêlé une nouvelle fois en 1625 à la vie politique du pays. Un événement va donner l’occasion d’un texte de référence pour l’Oratoire : Le Mémorial de quelques points servant à la direction des supérieurs en la congrégation de l’Oratoire de Jésus[1].
Depuis 1611, il n’y a toujours pas de constitutions de la congrégation. Les Pères, inquiets du départ du fondateur pour l’Angleterre, pays hérétique et dangereux − on peut y devenir martyr −, demandent un texte à leur Père. Il le fera, mais il en fera une longue méditation sur le mystère de l’Incarnation et ses conséquences pour les oratoriens quant à l’exercice de l’autorité et d’une obéissance librement consentie. Il explique que cette congrégation n’a pas d’autres règles que celles des Apôtres autour de Jésus ; congrégation sans vœux, le seul lien est celui de la charité fraternelle et de l’obéissance au Père, en Jésus Christ. Les oratoriens se sont toujours méfiés des règlements. « La lettre tue mais l’esprit vivifie »[2], ce qui n’est pas sans risque.
Les oratoriens, recherchant sans cesse une inspiration intérieure, ont toujours des difficultés à s’organiser, à se répandre, à parler d’eux-mêmes.
Rappelons la vie mouvementée de ce petit homme tiraillé entre plusieurs vocations : diriger les carmélites dont il vient de permettre la fondation en France (1604), réformer le clergé de France en fondant l’Oratoire (1611), et en plus répondre aux appels des rois : il fut apprécié par Henri IV qui l’a fait rejoindre les aumôniers du roi, mais il refuse la charge de précepteur du dauphin, et aussi celle d’évêque. Il se met ainsi en retrait de la cour et de la vie politique, et pourtant il s’y verra sans cesse rattrapé ; il va être le médiateur dans le conflit qui oppose le roi Louis XIII et la reine mère, Marie de Médicis. Il sera auprès de Richelieu au siège de La Rochelle, tout en souhaitant des controverses apaisées avec les protestants. Mais, contre Richelieu, il soutient l’idée de refaire l’Europe catholique et donc il favorise et négocie à Rome le mariage d’Henriette, sœur du roi avec le prince de Galles, futur Charles 1er d’Angleterre, espérant faciliter par là le retour des Anglais à la foi catholique. Par conséquent, le roi Louis XIII demande à Bérulle d’accompagner la nouvelle reine. En 1625 il doit donc quitter la France, et les oratoriens s’aperçoivent que, malgré leurs nombreux collèges et leurs nombreux prêtres, ils n’ont pas de constitutions, ni même de règlements. Aussi demandent-ils au fondateur et Supérieur général d’écrire ce qui sera, au lieu d’un règlement, ce texte majeur pour la compréhension de notre question : l’incarnation de Dieu dévoile une manière d’être homme.
[1]Le titre de ce texte est couramment abrégé en Mémorial de direction. Il se trouve in Bérulle, Œuvres complètes, Paris, Éditions du Cerf/Oratoire de France, t. 8, 1996, p. 363-406.
[2]Cf. 2 Co, 3, 6.
Dans sa lettre d’accompagnement du Mémorial, Bérulle s’adresse ainsi aux oratoriens :
« Mes Pères […] un des œuvres[1] de Dieu en nos jours est cette petite congrégation qu’il lui a plu établir en son Église, à laquelle il a daigné nous appeler tous, non pour être oiseux mais pour être ouvriers travaillant en sa vigne, non pour être attachés à nos intérêts, mais pour être attachés à sa croix ; non pour être appliqués à choses basses et petites, mais pour être occupés à sa gloire ; non pour servir à nos desseins, mais pour servir à ses conseils, et nous rendre instruments de ses œuvres en la terre. À cet effet il nous convie par ses inspirations, et nous oblige, par sa grâce et par sa vocation, à dépouiller le vieil homme, et nous revêtir du nouveau ; à nous séparer de nous-mêmes, et nous lier à son Fils unique Jésus-Christ notre Seigneur à vivre en la terre pour lui et non pour nous et à y vivre aussi, non par notre esprit, mais par l’Esprit de Jésus […]. Dieu par ses voies veut accomplir et perfectionner son œuvre en nous. Il a commencé, il le veut achever.[2] »
On sent la tonalité johannique des discours du Jeudi Saint. « Comme Jésus Serviteur, les supérieurs par fonction doivent être serviteurs par destination… ».
[1] Le mot « œuvre » chez Bérulle s’écrit toujours au masculin.
[2] Mémorial de direction, p. 367.