Françoise Paviot a mis en place le Collège visuel de Saint-Eustache, qui organise de nombreuses collaborations avec des institutions publiques et des artistes contemporains. Elle dirige depuis de nombreuses années sa propre galerie d’art, dans le 1er arrondissement et enseigne àl’école internationale des métiers de la culture IESA.
Comment œuvre-t-on àSaint-Eustache pour l’art contemporain ?
Françoise Paviot : L’art contemporain est présent àSaint-Eustache depuis 1992, grâce àl’initiative du père Gérard Bénéteau. Personnellement, je suis arrivée plus tard dans cette aventure, àla demande du père George Nicholson qui souhaitait que je sois « chargée de l’art contemporain », ce que j’ai fait seule pendant deux ou trois ans. Mais comme je préfère être dans l’échange plutôt que de travailler en solitaire, je me suis inspirée de ce qui avait été mis en place àSaint-Merry pour proposer la création d’un collège visuel. L’idée de la collégialité est importante car il me semble nécessaire de ne pas former une « chapelle » et de ne pas travailler en circuit fermé. « Voyez comme ils s’aiment !» disait-on des premiers chrétiens… c’est l’échange, l’écoute et l’ouverture aux autres qui entrent en jeu. Œuvrer au sein d’une paroisse suppose également une éthique de communication en direction des paroissiens pour qu’ils n’aient pas l’impression d’être exclus de ce fameux art contemporain, dont on se sent parfois très loin. Cela suppose aussi de présenter des œuvres de qualité et de les accompagner avec des clés pour en faciliter l’accès.
« L’idée de la collégialité est fondamentale »
Quel est le fil directeur des projets artistiques ?
F.P. : George Nicholson me disait régulièrement : « il faut toujours se poser la question : pourquoi cette œuvre àSaint-Eustache ? » et nous nous la posons toujours en regardant de nouvelles propositions. Quant àYves Trocheris, il m’a rappelé àson tour la nécessaire recherche de « la qualité ». Deux directives essentielles qui me restent bien en tête. Par ailleurs, nous essayons de suivre les grands moments de la vie liturgique pour les accompagner par des œuvres qui peuvent en ancrer le sens. Les « bonnes » œuvres d’art sont des vecteurs puissants de la symbolique théologique. Regardons comment elles ont été présentes dans la diffusion du christianisme et n’oublions pas que chaque artiste, quelle que soit son époque, a été un contemporain. Quand Simon Vouet peint Le Martyre de saint Eustache àla demande du Cardinal de Richelieu, n’est-il pas un artiste contemporain de son temps ? Nous rappelons aussi aux artistes que Saint-Eustache n’est pas un lieu d’exposition comme un autre, certains faisant gentiment la « tournée » des lieux saints dans une quête de visibilité. Bien souvent, ce que nous présentons a été créé pour notre église. Reprenant une idée qui avait déjàété initiée par le Père Bénéteau, j’ai proposé de réaliser une crèche, mais cette fois ci, en lançant un appel àprojet auprès des étudiants de l’Ecole des Beaux-arts de Paris, avec de « jeunes » artistes et un partenaire qui nous permettrait de renforcer nos liens institutionnels. Le projet a reçu le soutien fidèle de Rubis mécénat. Parfois, la crèche cristallise des tensions, car avec elle, on touche àla fois au sacré et àla tradition. Toutefois, les représentations contemporaines remettent-elles réellement en question la tradition ? A bien relire les évangiles, qui parlent peu d’ailleurs de l’épisode de la Nativité, elles permettent de revenir aux sources tout en questionnant le pourquoi et le comment des représentations classiques. L’art contemporain, souvent plus conceptuel et moins illustratif, nous oblige ànous interroger sur le visible et l’invisible, sur ce que nous croyons « parce que nous l’avons vu »…
« L’art contemporain, souvent plus conceptuel et moins illustratif que l’art ancien,
nous oblige àréinterroger notre tradition. »
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Que ce soit des œuvres historiques ou contemporaines, il est intéressant de faire intervenir un conservateur ou un artiste pour présenter un travail. C’est ainsi qu’àl’occasion de l’exposition des œuvres de Christian Lapie, nous l’avons invité àvenir parler de son travail en dialogue avec Paul-Louis Rinuy (1), accompagnés pour la « communication » par Art culture et Foi. J’aimerais faire la même démarche pour les œuvres installées de façon pérenne dans l’église, y compris les œuvres anciennes comme celles de Pierre-Paul Rubens ou du Tintoret, qui ne peuvent qu’enrichir notre regard et notre pensée.
Vous avez des projets avec Rubis Mécénat…
F.P. : Le fonds de dotation Rubis Mécénat, en la personne de sa directrice générale, Lorraine Gobin, accompagne Saint-Eustache depuis de nombreuses années (2). En 2021, après cinq années de soutien àla création de la crèche, Rubis Mécénat a souhaité faire évoluer sa collaboration, toujours avec les Beaux-Arts de Paris, mais cette fois-ci dans le cadre du programme Crush destiné àdonner une visibilité aux étudiants auprès d’un public de professionnels. Depuis l’an passé, un des commissaires de cette manifestation sélectionne une dizaine de travaux susceptibles d’être exposés àSaint-Eustache et le jury, composé des membres du Collège visuel et de l’Ecole des Beaux-Arts, retient une œuvre parmi ces propositions. En 2021, c’est Dhewadi Hadjab qui a été sélectionné (3), cette année, ce sera Hélène Janicot (4).
Chaque année, vous participez àla Nuit Blanche
F.P. : La Nuit Blanche existe àParis depuis 2002 et àSaint-Eustache depuis 2006. C’est le collège visuel qui làaussi réfléchit et choisit le projet. En amont, j’accompagne le Président de Art Culture et Foi auprès de la Mission « Nuit blanche » de la Mairie de Paris qui, chaque année, nomme un directeur artistique pour cette manifestation. Nous leur apportons notre collaboration pour les aider àchoisir et proposer àd’autres églises de Paris des projets envoyés par les artistes. Cette année, et plus spécifiquement pour Saint-Eustache, c’est Benjamin Loyauté qui a été invité avec une installation intitulée : « The Melody of speech » qui sera présentée le premier samedi d’octobre.
Le collège des arts visuels
Le collège des arts visuels de Saint-Eustache comprend le curé, Yves Trocheris, Jacques Mérienne, vicaire, Louis Robiche, régisseur, Françoise Paviot, paroissienne, galeriste et enseignante, Michel Micheau, ancien paroissien de Saint-Merry, Jonas Rosales, membre de l’équipe pastorale, Bernard de Montferrand, paroissien et président du FRAC d’Aquitaine, Lorraine Gobin, directrice générale du fonds de dotation Rubis Mécénat, le Président de Art culture et Foi.
Galerie Françoise Paviot : paviotfoto.com
(1) critique / Professeur d’histoire et de théorie de l’art contemporain àl’Université de Paris-VIII
(2) https://www.rubismecenat.fr/
(3) https://www.narthex.fr/blogs/la-photographie-un-oeil-pour-voir-le-monde/la-pesanteur-et-la-grace-pour-une-lecture-de-l2019oeuvre-de-dhewadi-hadjab-a-la-lumiere-de-saint-eustache
(4) Eglise St Eustache – 12 octobre-18 décembre 2022 – commissariat Audrey Illouz
Droits photographiques : courtesy Galerie RX ; Juliette Agnel
Quelques dates rétrospectives
 1992 : Christian Boltanski présente Jakob Gautel
1994 : installation de Christian Boltanski le temps de la Semaine Sainte
2000 : Panneaux peints et installation de John Armleder, dans la Chapelle des charcutiers, ancienne Chapelle Saint-André.
Décembre 2000 : La Visitation de Bill Viola, vidéo présentée dans le cadre du Festival d’Automne
2002 : création de la Nuit Blanche et première participation de Saint-Eustache
2003 : Triptyque La Vie du Christ de Keith Haring, dans la Chapelle Saint-Vincent de Paul
2007 : Kees Visser
2014 : Stéphanie Solinas
2016 : Voûtes célestes – Miguel Chevalier dans le cadre de la Nuit blanche
2016-2020 : partenariat avec Rubis Mécénat pour la réalisation d’une œuvre sur le thème de la Nativité par des élèves des Beaux-Arts de Paris.
2021 : Initiation de CRUSH, soutien et exposition d’une œuvre d’un élève des Beaux-arts de Paris.
2022 : exposition des sculptures monumentales de Christian Lapie