Rencontre avec le Père Luc Forestier, àpropos de son ouvrage « Les Ministères aujourd’hui »
Votre étude des ministères repose sur une analyse fondée sur la Tradition, la Sainte Écriture et le Magistère de l’Église. La transformation des mentalités suppose banalisation, institutionnalisation et cohabitation d’une diversité de modèles. Comment penser le juste équilibre entre ces forces pour l’émergence d’une » nouvelle Eglise » ?
Père Luc Forestier. Ce livre synthétique sur la question des ministères ne prétend nullement aller vers une « nouvelle Église », car le point central du raisonnement tient justement à une relecture des Écritures à partir de notre situation contemporaine. En réalité, c’est depuis le début du christianisme que la question de la régulation ecclésiale de la foi se pose, à partir de l’événement inouï et irreprésentable de la résurrection du Crucifié et du don de l’Esprit saint. Comment permettre une authentique transmission de cette expérience de la résurrection du Christ à laquelle il est possible de communier à l’intérieur même de notre histoire et de notre existence, en attendant la communion plénière dans le royaume de Dieu ? Ce bouleversement vécu par les disciples de Jésus-Christ, à commencer par les femmes qui sont les premières témoins, ne cesse pas de nous transformer, même si la nouveauté de la résurrection se heurte en nous à de subtiles résistances.
Parmi les premiers, Paul est un excellent témoin de cette nécessaire régulation – à commencer par sa propre biographie. La lumière de la résurrection s’est inscrite dans sa vie, jusqu’à en faire un « apôtre », lui qui n’était pas du tout membre du groupe des Douze. Pour autant, il garde son caractère – affirmé – et malgré la place qu’il occupe dans le Nouveau Testament, il y a d’autres voix bibliques qui nuancent saint Paul voire le critiquent.
Il y a donc bien, avant tout, un geste de tradition, c’est-à-dire de transmission. Puis une mise par écrit s’avère nécessaire jusqu’à la constitution de ce que nous appelons aujourd’hui la Bible, composée d’une foule d’écrits vraiment très différents. La régulation porte du coup sur l’interprétation de ces écrits : le Nouveau Testament lui-même est témoin des risques de conflits entre interprétation. Les ministères, et la vie liturgique de l’Église, constituent alors une instance de régulation, appelée tardivement « magistère ». Cete dernière expression désigne avant tout le magistère authentique des évêques, sous la présidence du Pape. Mais il ne faut pas oublier le magistère doctoral et le sensus fidei, c’est-à-dire le «sens de la foi » du peuple chrétien.
On voit, grâce à votre question, la subtilité des régulations chrétiennes, et leur équilibre. C’est la condition de la justesse de la communion et de la vérité de la transmission de l’expérience de la résurrection.
Depuis Vatican II, les essais de mise en place d’une Église Peuple de Dieu se heurtent à de nombreuses difficultés. Une synodalité à tous les niveaux vous paraît elle une solution pour l’avenir ?
Père Luc Forestier. L’histoire nous apprend que les difficultés de la vie ecclésiale sont structurelles, et sont l’effet de la cohabitation en chacun de nous de l’homme ancien et de l’homme nouveau, qui durera jusqu’à l’entrée définitive dans le royaume. Mais il faut aussi ajouter la grande précarité de l’originalité ecclésiale : on risque toujours de transformer l’Église en club, en association, en entreprise, en parti politique. Il faut même reconnaître que certaines pastorales sont porteuses d’une conception simpliste de l’Église, en la mondanisant ou en la gérant comme une agence de communication. Il en va évidemment de même pour la synodalité, qui est une manière tout à fait singulière de prendre en compte l’ensemble de ceux qui vivent leur baptême, au-delà des divergences d’opinion.
Cette synodalité n’est pas une simple version ecclésiale des pratiques démocratiques, même si elle peut s’en inspirer. La synodalité de l’Église va de pair avec l’existence du ministère épiscopal, qui garantit la communion dans la diversité. De son côté, l’épiscopat s’articule entre la collégialité de tous les évêques, et la primauté de l’évêque de Rome. Même si cela peut apparaître paradoxal, c’est l’ensemble de ce « système » ministériel qui garantit la liberté de chacun pour vivre et exprimer sa foi, en conservant la grâce de la communion et de la diversité. Cette grâce est parfois exigeante, comme le montre toute vie ecclésiale, car il faut accepter d’avoir été appelé à suivre ensemble le Christ, mais s’être choisi. C’est sans doute dans la vie familiale que se trouve un bon modèle des joies et des difficultés de la vie chrétienne, à l’image de tout amour qui s’inscrit dans l’histoire.
Propos recueillis par Françoise ZEHNACKER