Saint Philippe Néri/ Oratorio Fraternel Église Saint-Eustache, mardi 23 mai 2017
« Frères humains qui après nous vivrez… ». Ainsi parlait François Villon quelques décennies avant la naissance de Philippe Néri, conscient déjà de cette fraternité à travers les âges. Une fraternité qui nous libère parfois de la trop étroite fratrie, ou qui la prolonge, la dilate à de nouvelles dimensions, celles du coeur et de l’esprit. Notre devise républicaine voit dans la fraternité un préalable et un aboutissement de la liberté et de l’égalité. Et pour que ce lien fraternel ne soit pas abstrait la tradition chrétienne l’enracine dans une paternité universelle, au fondement de toute vie personnelle, le Père, Dieu de Jésus-Christ : frères et soeurs parce que filles et fils avec le Fils. L’oratorio de ce soir nous propose de faire résonner avec la musique les échos de la pensée et du verbe qui rendent hommage à cette fraternité, désirée et reçue. Que la musique adoucisse nos moeurs et donne du style à notre fraternité !
« Oh ! Quel plaisir, quel bonheur de se trouver entre frères ! C’est comme l’huile qui parfume la tête, et descend sur la barbe, sur la barbe d’Aaron, qui descend sur le col de son vêtement. C’est comme la rosée de l’Hermon, qui descend sur les montagnes de Sion. Là, le Seigneur a décidé de bénir : c’est la vie pour toujours ! » (Psaume 133)
J. S. Bach, « Sinfonia » de la Cantate 29 (transcription), grand orgue
Commençons par un récit fondateur, un récit des origines… A Rome Philippe Néri fonde en pleine Renaissance païenne, éprise de beauté, de faste et de plaisirs violents, l’Oratorio : des disciples, des amis, des frères. Une vie simple, exigeante, tendue vers la communion fraternelle et la joie de se retrouver pour prier, chanter, partager des moments ensemble dans l’esprit fraternel des âges apostoliques.
Philippe le Guillou, Philippe Néri, un ludion mystique :
« Qui oserait imaginer un saint rieur, espiègle, comédien,
un ludion aux pieds légers aimant la ville, la foule ? »
G. Gabrielli, Larghetto et Allegro
Mais les chrétiens n’ont pas une vision utopique et idéale de la fraternité. Leur expérience est réaliste, marquée par l’histoire et le mal. Depuis Caïn et Abel cette fraternité est mise à mal, menacée par la jalousie, l’incompréhension et la violence. En cette année où nous commémorons les 500 ans de la réforme, souvenons-nous de ces luttes fratricides qui ont endeuillé notre pays et nos Églises.
Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques, Livre I :
« Je veux peindre la France une mère affligée… »
G.P. Telemann, Suite en la mineur, « Air à l’italienne »
Et voici la grande voix terrible et généreuse de Victor Hugo, qui dans « Liberté, égalité, fraternité » exprime le regret des luttes fratricides :
« On pourrait boire aux fontaines,
Prier dans l’ombre à genoux,
Aimer, songer sous les chênes ;
Tuer son frère est plus doux? »
Et encore : « La formule républicaine a su admirablement unir ce qu’elle disait et ce qu’elle faisait ; la gradation est irréprochable. Liberté, Égalité, Fraternité. Rien à ajouter, rien à retrancher. Ce sont là les trois marches du perron suprême. La liberté, c’est le droit, l’égalité, c’est le fait, la fraternité, c’est le devoir. Tout l’homme est là…
Les heureux doivent avoir pour malheur les malheureux ; l’égoïsme social est un commencement de sépulcre ; voulons-nous vivre, mêlons nos coeurs, et soyons l’immense genre humain… » (Discours à la Chambre des députés)
Baudelaire voyait dans la fresque des Misérables l’épopée de la charité et de la fraternité humaine : « Les Misérables sont un étourdissant rappel à l’ordre d’une société trop amoureuse d’elle-même et trop peu soucieuse de l’immortelle loi de fraternité, un plaidoyer pour les misérables, ceux qui souffrent de la misère et que la misère déshonore, proféré par la bouche la plus éloquente de ce temps. »
Victor Hugo, Les Misérables : « Les grands périls ont cela de beau qu’ils mettent en lumière la fraternité des inconnus. »
A. Vivaldi, Allegro pour hautbois et basson adapté pour flûte et violoncelle
L’écrivain des âmes tourmentées, prophète d’un christianisme ardent et lucide, Georges Bernanos, écrit en 1938 Les Grands Cimetières sous la lune, un essai où avec courage il pense contre son camp. Il avait été témoin des exactions commises par les franquistes au cours de la guerre d’Espagne. Dans sa préface il se souvient des personnages qu’il a créés et aimés dans ses livres précédents. Nés du regard fraternel de l’enfance.
Georges Bernanos, Grands cimetières sous la lune :
Compagnons inconnus, vieux frères…
G. Fauré, Sicilienne de la suite « Pelléas et Mélisande », grand orgue
Dans Si c’est un homme Primo Levi a raconté que dans des moments extrêmes où la solidarité semble étouffée par des conditions de vie et de survie indicibles, une fraternité peut naître autour de réalités minimales, gestes, paroles, regards. Geneviève Anthonioz-De Gaulle, dans La Traversée de la nuit, nous transmet son expérience, sa réflexion sur son séjour à Ravensbrück. André Malraux un jour lui confia : « Au mal absolu, on ne peut répondre que par la fraternité. »
Geneviève Anthonioz-De Gaulle, La Traversée de la nuit :
« je devais partager leur humiliation comme la fraternité et le pain… »
Improvisation au grand orgue
La fraternité réconcilie « celui qui croyait au ciel, celui qui n’y croyait pas » (L. Aragon, « La Rose et le Réséda ») en faisant taire momentanément ce qui divise. La chaleur humaine de l’hospitalité offerte, comme la crèche de Noël, révèle et comble notre désir profond de reconnaissance et de paix. Comme des belligérants qui fraternisent, mettant en péril l’équilibre de la guerre, il nous arrive de goûter ce « moment fraternité » dont parle Régis Debray. Au poète anarchiste de nous le redire, sans emphase.
Georges Brassens, L’Auvergnat
Chant d’assemblée, sur un choral luthérien
1. Peuples, criez de joie et bondissez d’allégresse :
Le Père envoie le Fils manifester sa tendresse ;
Ouvrons les yeux : Il est l’image de Dieu
Pour que chacun Le connaisse.
2. Loué soit notre Dieu, source et parole fécondes :
Ses mains ont tout créé pour que nos coeurs Lui répondent ;
Par Jésus-Christ, Il donne l’être et la vie :
En nous sa vie surabonde.
3. Loué soit notre Dieu qui ensemence la terre
D’un peuple où son Esprit est plus puissant que la guerre ;
En Jésus-Christ la vigne porte du fruit
Quand tous les hommes sont frères.
4. Loué soit notre Dieu dont la splendeur se révèle
Quand nous buvons le vin pour une terre nouvelle ;
Par Jésus-Christ le monde passe aujourd’hui
Vers une gloire éternelle.
5. Peuples, battez des mains et proclamez votre fête :
Le Père accueille en Lui ceux que son Verbe rachète ;
Dans l’Esprit Saint, par qui vous n’êtes plus qu’un,
Que votre joie soit parfaite !
Repas Italien proposé par des cuisiniers
soutenus par des associassions parisiennes qui viennent en aide aux migrants.
Merci à :
Grand orgue : Thomas Ospital
Violoncelle : Laetitia Tuza
Flûte : Bénédicte Tuza
Chant : Stéphane Hézode
Lecteurs : Aline César, Anne Delbée, Laurent Charpentier,
Philippe Le Guillou, Jacques Mérienne, François Regnault