Prêtre et journaliste, le Père Jacques a passé plusieurs semaines en Ukraine, venant àla fois en appui àla logistique d’une ONG ukrainienne et menant un travail journalistique sur place.
Vous êtes partis en Ukraine àla mi-mars retrouver l’ONG Comité d’aide médicale Ukraine, avec laquelle vous aviez travaillé une dizaine d’années. Pouvez-vous nous parler de cette ONG ?
J’ai travaillé plus de dix ans pour l’ONG française Comité d’aide médicale, qui n’existe plus depuis 2010, et qui intervenait dans le secteur du handicap en France, mais aussi en Ukraine àpartir de 1992, où se trouvait une équipe très motivée, si bien qu’en 2000 a été créé le Comité d’aide médicale Ukraine, qui existe toujours. Leur travail (en temps de paix), s’articule autour de la prise en charge des enfants handicapés dans les orphelinats ainsi que des relations auprès des pouvoirs publics pour faire évoluer les lois ayant trait au handicap. Ils ont notamment construit un orphelinat, Parasolka, géré par l’Etat, qui abrite des ateliers ESAT (établissement et service d’aide par le travail) au sein desquels les enfants ont une activité de tissage et fabriquent de petits objets tissés. Mais depuis le début de la guerre du Donbass en 2014, l’ONG procure également une aide d’urgence aux populations déplacées et livre du matériel dans cette région en guerre. Les relations entre l’ONG française et ukrainienne étaient évidemment très étroites et je suis allée une dizaine de fois en Ukraine entre 1992 et 2004.
Quelle est l’action du Comité d’aide médicale Ukraine depuis le début de la guerre ?
Dès les premiers jours de guerre, l’ONG ukrainienne a contacté les anciens de l’ONG française pour leur demander de l’aide. Nous avons alors lancé des appels aux dons en France. Une partie de l’argent récolté a été envoyée directement en Ukraine tandis qu’avec le reste, nous avons acheté en France du matériel qui a été expédié, soit 11 ambulances, 35 groupes électrogènes, des médicaments, du matériel médical, des pastilles pour purifier l’eau, des jerricanes souples pour la transporter, etc. En tout, ils ont reçu 107 camions, dont 59 de France, car un certain nombre d’associations européennes cherchaient un partenaire fiable en Ukraine, le problème pour le tissu associatif étant souvent d’avoir un interlocuteur ukrainien.
L’aide d’urgence a été déposée àOujgorod, en Ukraine, juste de l’autre côté de la frontière slovaque, où le Comité d’aide médicale Ukraine possède deux entrepôts, et en Slovaquie pour les conducteurs non ukrainiens qui ne peuvent pas entrer sur le territoire. Dans ce cas, les marchandises sont récupérées par des chauffeurs ukrainiens dans un second temps. Au début de la guerre, une partie de l’aide était distribuée dans cette région de Transcarpatie, qui compte 300 000 personnes déplacées de l’est du pays, mais plus la guerre dure, plus l’aide est acheminée dans l’est et le sud, de trois manières différentes : par le train (qui transporte des réfugiés de l’est àl’ouest et repart vers l’est avec l’aide d’urgence), par des camionnettes conduites par des volontaires et par des camions de transporteurs payés par le Comité d’aide médicale.
L’aide a pu s’organiser rapidement car la société civile s’est bien développée depuis les années 2000. Les réseaux inter-ONG existaient déjàpour beaucoup de domaines, les ONG ont simplement réorienté leur activité vers l’urgence depuis le début de la guerre.
Vous avez écrit un article dans lequel il est beaucoup question de la résilience du peuple ukrainien…
Comme l’explique Natacha Kabatsiy, la directrice du Comité d’aide médicale, « le peuple a fait deux révolutions, en novembre 2004 puis en février 2014, contre l’État, contre la mise en place de la dictature. [Il a] acquis une véritable expérience : les gens se sont organisés pour lutter. Ces réflexes-làet ces réseaux fonctionnent de nouveau. » La société civile a l’habitude de s’organiser elle-même. En 2014, lors de la première guerre du Donbass, l’armée était en déliquescence. Les volontaires se sont équipés grâce àun financement participatif (le « crowdfunding ») et ils ont réussi àlibérer la ville de Marioupol qui avait été prise par les séparatistes. Chacun apporte sa contribution àcette guerre, fabrication de filets de camouflage pour l’armée par les passants (de grands cadres en bois sont tendus et chacun apporte et fixe des lanières de tissu), fabrication de cocktails Molotov, production d’outils de déminage par un collectif d’artistes forgerons, préparation de milliers de repas quotidiens pour les civils par des restaurateurs, de bocaux pour les militaires, etc. L’Etat sait se greffer intelligemment sur ces initiatives privées. La société civile est clairement un des ressorts de la résistance, en appui àl’armée qui s’est professionnalisée depuis 2014.
Pierre Dabosville, prêtre de l’Oratoire de France, écrivait en 1982, dans son livre Les événements et la prière, « Par la prière, nous devenons autres : la prière change le monde, parce qu’elle change les hommes. ». Vous qui avez travaillé sur des zones de conflit et rencontré des victimes de guerre, vous retrouvez-vous dans cette évocation de la prière ?
Oui. On modifie les événements si on change les hommes. Or, la prière change les hommes. Les croyants sont nombreux en Ukraine. La semaine de Pâques, tout le monde se salue, non par un « bonjour » mais par « Christ est ressuscité ». Sur place, j’ai fêté deux fois Pâques, une fois avec les catholiques et une fois avec les grecs catholiques (qu’on appelle parfois les Uniates), qui sont romains également, mais de rite orthodoxe. Une partie de la population est aussi protestante (souvent originaire de Hongrie) ou orthodoxe. Dans ce contexte de guerre, la prière en tout cas est marquée par les événements qu’on vit, et les atrocités auxquelles les personnes ont assisté. Les récits qui m’en ont été faits habitent forcément mes prières.