« Tout près de toi est la Parole »
par François Picart, prêtre de l’Oratoire
Le récit des tentations de Jésus, repris chaque année au premier dimanche de Carême, condense les épreuves qu’il a rencontrées. Placée au début de sa vie publique inaugurée sous la conduite de l’Esprit, par son baptême par Jean, cette construction établit un parallèle entre l’Exode du peuple d’Israël, conduit par Moïse après la sortie d’Égypte, qui trébuche face aux tentations dans le désert et Jésus qui en triomphe. Chez Luc, Jésus est « mis àl’épreuve » dans trois lieux différents : le désert, « en haut » et dans la ville de Jérusalem. Il lui fait affronter trois tentations : l’instrumentalisation de Dieu, l’idolâtrie et la toute-puissance, les deux dernières étant explicitement reliées àsa qualité de « Fils de Dieu ».
Dans la Bible, le désert est le creuset où, après la sortie d’Égypte, s’est formé le peuple de Dieu. Il est àla fois un lieu de découverte et d’amour de Dieu (Jr 2,2) et une durée au cours de laquelle, le peuple élu, qui représente l’humanité, a défié la fidélité de Dieu et éprouvé sa sollicitude (cf. Dt 8). C’est làoù Moïse demeura quarante jours et quarante nuits sans manger, ni boire avant d’inscrire les paroles de l’alliance sur les tables (Ex 34). Pour discerner comment répondre àla réalisation du dessein de Dieu, en résistant àla tentation de le confondre avec la satisfaction immédiate de ses aspirations, la réflexion inclut un jeûne qui ouvre le jeûne alimentaire au « jeûne qui plait àDieu » que Jésus a incarné : « faire tomber les chaînes injustes, délier les attaches du joug, rendre la liberté aux opprimés, briser tous les jougs » (Is 58 ; cf. Lc 4, 18). Ce déplacement est rendu possible par celui de la nourriture alimentaire àla nourriture de « toute parole sortant de la bouche de Dieu » complète Matthieu.
Le recours àl’Écriture est décisif dans le discernement par lequel Jésus cherche comment vivre en juste serviteur de Dieu. Avec elle, il démêle les forces qui le meuvent, démasque celles qui sont au service d’autres intérêts que le dessein de Dieu.
« En haut » ou « sur une très haute montagne » (Mt 4), le récit de Luc confronte Jésus àla tentation de consentir au désir de toute-puissance. Elle est alimentée par l’idolâtrie dont Jésus est l’objet, grâce au recours ambigu aux représentations messianiques ou royales. La tentation de posséder la puissance et la gloire n’est pas limitée aux seules années initiales de son ministère. À travers les suggestions de ses interlocuteurs, ses adversaires mais aussi ses apôtres, elle a poursuivi Jésus pendant toute sa vie publique, jusqu’au pied de la croix. Dans plusieurs scènes de l’évangile, la foule enthousiaste veut le proclamer « roi » ou « Messie » : après le récit de la multiplication des pains (Jn 6), ou lors de l’échange qui oppose Pierre àJésus, après la profession de foi de Césarée. À Pierre qui rejette la sombre perspective présentée par Jésus, ce dernier lui répond « Passe derrière moi Satan ! Tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais des hommes » (Mc 8).
Dans « Jérusalem », Jésus est confronté àune autre ambiguïté, présente dans les requêtes des foules avides de signes àgrand spectacle qui montreraient àtout le monde le pouvoir extraordinaire de Fils de Dieu. Elle attend des « signes venant du ciel » par lesquels Jésus renouvellerait les merveilles de l’Exode. (Cf. Lc 11, Jn 6, Mt 16) pour « mettre [Jésus] àl’épreuve ». Face àcette requête de signes àgrand spectacle, Jésus répond par une autre pédagogie, celle du mystère pascal contenue dans le signe de Jonas (Lc 11, 30).
Le recours àl’Écriture est décisif dans le discernement par lequel Jésus cherche comment vivre en juste serviteur de Dieu. Avec elle, il démêle les forces qui le meuvent, démasque celles qui sont au service d’autres intérêts que le dessein de Dieu. Les Écritures qui sont la Parole de Dieu mise par écrit et la règle de notre foi, font résonner la voix de l’Esprit-Saint dans les paroles des apôtres et des prophètes. Toujours disponibles elles font toujours entendre sa voix pour éclairer notre discernement, démêler les forces qui nous meuvent, les tentations qui les habitent, et fortifier notre marche àla suite du Christ. Au moment où commence le cheminement des chrétiens vers Pâques, éclairons notre intelligence du cœur de l’expérience que Paul reprend àla Lettre aux Romains : « Tout près de toi est la Parole, elle est dans ta bouche et dans ton cœur », dans ton cœur « car c’est avec le cœur que l’on croit pour devenir juste », dans ta bouche car « c’est avec la bouche que l’on affirme sa foi pour parvenir au salut ».
François Picart, prêtre de l’Oratoire
Méditation publiée dans La Croix le 1er dimanche de Carême.